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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Michael Kohlhaas, Arnaud des Pallières, 2013

Publié par Romaric Berland sur 29 Août 2013, 18:57pm

Catégories : #Cinéma européen

Michael Kohlhaas est un joli pari. Loin des fresques hollywoodiennes spectaculaires et romanesques, le film d'Arnaud des Pallières choisit le parti de la sécheresse et du minimalisme. Il ne s'agit pas tant de mettre en scène une page d'histoire quelconque que d'illustrer, par un récit exemplaire, des questions morales. Michael Kohlhaas est l'adaptation d'une nouvelle d'Henrich von Kleist, auteur du Romantisme allemand. L'oeuvre de Kleist témoigne de façon éloquente des réflexions morales et métaphysiques qui agitent le Romantisme européen au XIXème siècle sur la Justice (divine et sociale), sur la légitimité de la révolte ou encore sur l'opposition politique à un ordre despotique. En ce sens, Michael Kohlhaas rappelle aussi beaucoup les Brigands de Friedrich Schiller, autre grand monument de la littérature allemande qui, nulle doute, a dû inspirer des Pallières. Le cinéaste est parfaitement imprégné par cette culture germanique, et par ces figures de transgresseurs et d'hommes prométhéens. Des Pallières, indéniablement fasciné par l'oeuvre et les débats philosophiques qu'elle agite, rejoue en image la fable de Kleist pour raviver ses questions loin d'être inactuelles...

Michael Kohlhaas, c'est l'histoire d'une révolte, celle du personnage éponyme, marchand de chevaux, bon mari et bon père de famille, respectueux des lois. Victime de l'injustice et de la cruauté d'un jeune seigneur, incapable de rétablir son droit par la loi humaine, Kohlhaas lève une armée et déclenche une révolte pour obtenir justice. Comme le tire l'indique, c'est bel et bien le personnage qui constitue le noeud de l'histoire. Des Pallières s'attache à mettre en avant les ambiguïtés morales de son protagoniste, à perpétuellement mettre en question ses motivations. Il suit son personnage déroutant dans ses atermoiements, dans ses piétinements, dans ses doutes et ses multiples revirements. Le petit coup de génie a été de confier le rôle à Mads Mikkelsen : l'acteur porte le film sur ses épaules et parvient à camper avec une véritable aisance toutes les ombres de son beau personnage. A la fois héros vengeur et fanatique animé par une soif d'anarchie et de justice personnelle, l'acteur sait jouer de sa carrure virile et de son faciès inquiétant pour nous fasciner. Des Pallières fait constamment osciller le spectateur entre empathie et rejet pour son monstre trop humain.

En ce sens, Michael Kohlhaas n'a rien à voir avec le Braveheart de Mel Gibson : Des Pallières ne partage pas l'idéalisme naïf du réalisateur américain, sa passion pour la liberté, ni sa vision manichéenne de l'Histoire. Il n'adhère pas à la révolte de son personnage : elle est précisément le sujet qu'il veut discuter. Dès la première scène, le rapport de Kohlhaas à la loi est ambigu : le personnage évolue librement à travers une lande vierge, sans frontière, avant de tomber sur une embûche. C'est à partir de cette barrière érigée sur son chemin (attribut de l'autorité et de la loi qui contraint sa liberté) que va naître la révolte de Kohlhaas : le rapport du protagoniste à l'autorité apparaît ainsi intrinsèquement conflictuel. Des Pallières ne fera que radicaliser cette relation problématique, allant même jusqu'à révoquer explicitement les motivations prétendument légitimes du héros. L'injustice qu'a subie Kohlhaas ne serait-elle pas un prétexte pour libérer la soif anarchiste logée en lui depuis le début ? Plus proche du Aguirre de Werner Herzog que du William Wallace de Mel Gibson, Kohlhaas est un homme prométhéen, un transgresseur qui veut se faire l'égal de Dieu en imposant sa propre justice. Mais se révolter contre l'injustice sociale, c'est aussi remettre en cause l'ordre divin et métaphysique du monde, c'est donc le livrer au chaos (belle séquence d'entretien avec le pasteur campé par un Denis Lavant toujours parfait). Des Pallières renoue avec les racines protestantes de la littérature germanique, et avec son pessimisme historique : les révolutions n'apportent rien de bon que chaos et dégradation.

Mais l'autre force de Michael Kohlhaas réside indéniablement dans sa mise en scène très aride sans toutefois jamais sombrer dans l'austérité (le cinéaste se réserve même quelques fulgurances poétiques du plus bel effet). Cette aridité anti-spectaculaire permet de recentrer l'intérêt du film sur la question morale, tout en évitant l'écueil du didactisme. En optant pour une mise en scène discrête et sans ostentation, le réalisateur laisse au spectateur sa liberté de juger. Affirmant s'inspirer des westerns, il insère ses personnages dans des paysages sauvages gigantesques, immenses plaines humides fouettées par le vent. Jouant sur les échelles, il alterne entre gros plans sur les visages de ses acteurs et plans larges sur les paysages, comme si la sauvagerie et le chaos de la nature renvoyaient en écho au chaos et à la sauvagerie du genre humain. De fait, il ne semble pas y avoir de place pour Dieu dans l'univers de Michael Kohlhaas. Il constitue un ailleurs complètement déconnecté de la réalité terrestre. Le monde que filme Des Pallières est froidement humain. La violence, la trahison et l'injustice y pullulent, peu importent les intentions de chacun. L'espèce humaine se heurte contre son impossible perfectibilité. La justice que loue et vénère Kohlhaas avec un aveuglement inquiétant ne se révèle au final qu'une basse transaction marchande où l'on vend son âme autant que sa vie. En définitive, Michael Kohlhaas pose de nouveau la question qui sous-tend chaque action humaine : la fin justifie-t-elle les moyens ? Des Pallières, et dans son sillage le spectateur, en doutent profondément.

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