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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Too Old To Die Young, Nicolas Winding Refn, 2019

Publié par Romaric Berland sur 4 Février 2020, 20:56pm

Catégories : #Série, #Cinéma américain, #Cinéma européen

Première incursion de Nicolas Winding Refn dans le format sériel pour le compte d'Amazon Prime Video, Too Old To Die Young débarque à un moment intéressant dans la filmographie du réalisateur danois. Après avoir signé ses deux films les plus aboutis et les moins putassiers jusqu'ici (Only God Forgives et surtout The Neon Demon, deux essais où le cinéaste ne cherchait plus à parler d'autre chose que de sa fascination obsessionnelle, morbide et totalitaire pour l'image et ses pouvoirs), Refn trouve dans cette mini-série de 10 épisodes une oeuvre-somme compilant à la fois toutes ses amours (le cinéma de genre et de série B, les films expérimentaux) mais également tous ses mérites et ses pires travers. Profondément inégale, tour à tour brillante et frustrante, Too Old To Die Young croule sous les prétentions de son auteur (qui n'ont sans doute jamais été aussi écrasantes), tout en étant son oeuvre la plus radicale à bien des égards.

A la suite d'un contrôle de police qui tourne mal et qui aboutit à la mort de son partenaire, Martin -un policier pourri qui arrondit ses fins de mois en exécutant quelques contrats pour un parrain local- se trouve pris dans une spirale de violence entre les cartels mexicains, les gangs afro-américains, les yakuzas et un mystérieux justicier solitaire...Partant de cette intrigue de polar très clairement dessinée, Refn n'aura de cesse de casser la logique dramaturgique propre au genre et au format de la série (qui demande révélations, relances permanentes de l'action, cliffhangers etc) au profit d'une exploration contemplative et quasi-méditative de l'espace urbain contemporain. Tournant quasi-intégralement en plan fixe, n'usant d'aucun mouvement si ce n'est de discrets panoramiques, le réalisateur s'amuse à cultiver une esthétique finalement moins cinématographique que photographique : portée par le génial chef opérateur Darius Khondji, Too Old To Die Young est une collection d'images obsédées par le vide et l'immobilité, où l'action se réduit à des gestes infimes et les personnages à des mannequins vidés de toute humanité (comme souvent chez Refn, peu de psychologie : les dialogues sont superficiels et les protagonistes des figures symboliques sans réelle incarnation). Le résultat, c'est (versant positif) une oeuvre volontiers expérimentale qui tourne le dos au dispositif traditionnel des séries tout à la gloire du scénario et de l'intrigue : le monde de Too Old To Die Young se dévoile moins par le récit que par l'image, une image carcérale qui enserre les individus comme dans une prison de glace dont ils ne peuvent s'extraire. Mais c'est aussi, sur le versant négatif, l'oeuvre la plus poseuse jamais faite par le danois, qui étire parfois jusqu'à l'extrême des situations pénibles qui tiennent plus de la grosse digression qu'autre chose (toutes les scènes avec William Baldwin, très mauvaises, ou encore les interminables épisodes 2 et 6 centrés sur Jesus et Yaritza et leurs beaux habits...ou quand l'esthétique radicale du cinéaste tourne moins à l'envolée métaphysique qu'à la dérive cosmétique de simple défilé de mode).

Difficile alors d'adhérer pleinement à la série qui tient mal la durée et se délite clairement dans sa deuxième moitié de saison, asphyxiée par des enjeux trop maigres. Mais dans ses meilleurs moments, Too Old To Die Young regarde la réalité contemporaine avec une acuité folle : bretelles d'autoroutes, villes anonymes, appartements postmodernes, villa de luxe sont autant d'espaces vides et déshumanisés qu'habitent ou que traversent malgré eux les personnages. A la manière d'Antonioni au début de Zabriskie Point, Refn filme les villes comme des espaces saturés de signes, de panneaux, d'images, de photos où la réalité et sa représentation, la vérité et le mythe s'interpénètrent et se confondent. Ces espaces concrets tournent alors à l'abstraction pure, se déréalisent, deviennent doubles, à l'image des protagonistes qui ne sont jamais ce qu'ils prétendent, qui sont à la lisière du crime et de la loi, qui sont flics et voyous, gangsters et justiciers. Mais fidèle à son nihilisme d'adolescent, Refn filme la décadence de l'Amérique d'aujourd'hui qu'il fantasme comme peuplée de pédophiles et de néo-nazis, ne peut pas s'empêcher de mentionner Trump, et prophétise le chaos d'une société rongée par la violence et en quête d'une justice absolument défaillante...Le portrait est chargé, pas très fin, idéologiquement douteux, tout à la gloire de l'autodéfense et de la loi du Talion. C'est là le problème éternel de Nicolas Winding Refn : si ses images sont claires et nettes, ses idées, elles, sont bien trop floues pour lui permettre de penser clairement le monde et ce qu'il veut en dire. On attend le jour où un vrai scénariste acceptera de prendre en charge ses projets.

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