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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Assaut, John Carpenter, 1976

Publié par Romaric Berland sur 20 Août 2013, 11:38am

Catégories : #Cinéma américain

Réalisé en 1976 avant les grands succès du réalisateur dans les années 80, Assaut est un film de genre d'une superbe maîtrise formelle et thématique qui témoigne de l'originalité et de l'intelligence du cinéma de Carpenter. Inspiré du Rio Bravo d'Howard Hawks, Assaut se présente comme une relecture en profondeur du classique du western par le Nouvel Hollywood.

En effet, l'originalité et la modernité d'Assaut résident dans son renouvellement de la représentation de l'Amérique, à l'heure des années 70. Entre la modernité de Carpenter et le classicisme d'Hawks, c'est toute une Amérique qui les sépare. Western classique par excellence, Rio Bravo dressait le portrait d'une société américaine triomphante et juste. L'univers filmique était lisible, cohérent et harmonieux : la frontière entre les héros et les criminels, le bien et le mal s'y trouvait clairement définie et hermétique. Dans cet univers bipolaire (les justiciers, les hors-la-loi), John Wayne et ses compagnons héroïques faisaient front face à l'injustice et devaient restaurer l'harmonie du monde en purgeant la ville des criminels. A la fin, le Mal se trouve éradiqué, et la Justice triomphe avec l'amitié et le courage comme valeurs cardinales dans une Amérique à la pureté préservée. Avec Assaut, au contraire, Carpenter brouille toutes les frontières, il complexifie les identités, et les liens entre les protagonistes. L'idéaliste Hawks laisse à place à l'angoissé/angoissant Carpenter. L'espace classique américain divisé entre wilderness et civilisation se trouve recomposé en une cartographie nouvelle, celle de l'environnement urbain. A l'hermétisme des frontières du cinéma classique et du western d'Howard Hawks répond désormais l'intrication confondante de ces deux réalités antagonistes : dans le polar moderne, la sauvagerie et la civilisation sont rapprochées dans un même espace déroutant, lieu de tous les égarements que constitue la jungle urbaine.

Film d'action, Assaut est avant tout un polar atmosphérique, une oeuvre d'ambient aux accents expérimentaux et bercée par les coups de synthé entêtants de Carpenter himself. Le cinéaste capte les bruissements de la ville, le pouls inquiétant et bouillonnant d'un Los Angeles aux allures de ghettos ravagé par la violence, les luttes raciales et l'insécurité. La confrontation entre les personnages retranchés dans le poste de police désaffecté, et le gang anarchiste lancé à leur assaut symbolise la lutte des individus contre la ville, entité monstrueuse qui vomit le Mal qu'elle héberge par vagues de voyous réduits à une masse de zombies suicidaires. Car oui, Carpenter emmène son polar sur les terres du fantastique et du film de zombies. Par la puissance d'une mise en scène toute en suggestions et en maîtrise, il parvient à entremêler les genres et les influences : entre Rio Bravo et La Nuit des morts-vivants, Assaut confronte l'Amérique des années 70 à ses refoulés. A l'encontre du western blanc d'Howard Hawks, peinture d'une Amérique monochromatique et civilisée, le film de Carpenter prend pour toile de fond les émeutes raciales et les groupes révolutionnaires des années 60-70 : John Wayne cède la place à un flic noir, les bandits sont devenus un groupe terroriste multi-ethnique. Carpenter donne visibilité à cette autre Amérique, refoulée, zombifiée, à la marge, et qui revendique, dans la violence et l'anarchie, sa place dans la société. Le siège lancé contre le commissariat, berceau de la Loi, c'est donc l'assaut lancé contre le sanctuaire du puritanisme américain que Carpenter fait voler en éclat. Plutôt que de souligner l'antagonisme des espaces comme Hawks, Carpenter annihile les frontières morales et sociales entre les deux camps : le flic noir et son adjointe, pour survivre, sont obligés de coopérer avec les prisonniers du poste et ensemble, ils vont créer des liens de solidarité et d'amitié inattendus face à l'adversité.

Ainsi Assaut nous plonge en eaux troubles. La relecture du western hawkien -ce mythe rassurant de courage et de justice- sous la réalité inquiétante de l'Amérique des années 70 nous plonge dans une ère faite de doute et d'angoisse. Entre la réhabilitation d'une frange méprisée de la population américaine et l'amoralité évidente du récit, Carpenter se plaît -et ce ne sera pas la dernière fois- à souligner les formes hideuses d'une société malade, pathologique. La métaphore physiologique de l'invasion et du refoulement y trouve une portée puissante, celle d'une Amérique schizophrène qui se chasse elle-même, et trouvera son point d'incandescence dans l'oeuvre ultime du cinéaste : The ThingEn attendant, Assaut est une oeuvre transgenre, esthétiquement superbe, rythmée par la composition musicale de Carpenter. Le film a tout d'une oeuvre culte qui porte le cinéma de genre à un point de perfection formelle et à un degré d'intelligence rarement égalé avec autant d'équilibre et d'élégance.

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