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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


La Grande Muraille, Zhang Yimou, 2017

Publié par Romaric Berland sur 31 Mai 2020, 09:40am

Catégories : #Cinéma américain, #Cinéma asiatique

Coproduction entre Hollywood et la Chine, La Grande Muraille était censée ouvrir une nouvelle ère dans l'histoire du capitalisme culturel, avec un film conçu pour plaire autant au marché occidental qu'asiatique. Scénarisé par des Américains mais réalisé par un Chinois (et pas des moindres, le cinéaste Zhang Yimou à qui l'on doit entre autre Hero), le film opère une rencontre entre les formes spectaculaires hollywoodiennes issues de la pop culture (soit le blockbuster à effet spéciaux) et celles chinoises (principalement ici l'épopée historique et la mythologie). Mais cette rencontre entre Orient et Occident ne se joue pas seulement sur le plan formel, elle est aussi le coeur du scénario : deux voleurs européens interprétés par Matt Damon et Pedro Pascal viennent en Chine pour secrètement dérober la recette de la poudre à canon et finissent malgré eux embarqués dans un conflit entre les Chinois et de mystérieuses créatures, les Tao Tei (monstres d'ailleurs issus du folklore) avec la Grande Muraille comme ligne de front.

Derrière l'aspect purement imaginaire et fantastique du récit, le film de Zhang Yimou ne parle en vérité que de géopolitique, et de la manière dont la Chine se regarde et considère ses liens avec l'Ouest. Reconduisant les clichés orientalistes d'une Asie mystérieuse, le film dépeint l'Empire chinois à travers le regard fasciné des deux héros, qui découvrent une puissance non seulement supérieure sur le plan technologique et militaire (voir toutes les armes et tactiques farfelues que les batailles mettent en place) mais aussi sur le plan esthétique (les armures colorées des soldats qui composent un ballet chromatique toujours cher aux épopées de Zhang Yimou). Mais c'est surtout sur le plan philosophique et idéologique que la Chine impose sa supériorité : à l'encontre des mercenaires interprétés par Matt Damon et Pedro Pascal qui incarnent l'individualisme occidental (ils ne font confiance à personne) et le matérialisme propre au capitalisme (ils se sont toujours battus pour l'or), les soldats chinois imposent un sens du devoir et du sacrifice face à un Mal absolu qui menace l'humanité toute entière. En ce sens, la Grande muraille qui donne son titre au film devient bel et bien le symbole d'un rempart qui marque la frontière entre la sauvagerie pure et la civilisation, dont la Chine est le garant. Surtout, en revenant sur les échanges culturels et commerciaux qui ont émaillé l'histoire entre l'Europe et l'Empire chinois (ici, en particulier, la transmission de la poudre à canon), la Chine apparaît comme la locomotive du monde moderne, rayonnant sur le reste du monde à qui elle fait profiter de sa puissance et de ses avancées -tel Prométhée ayant offert le feu de l'intelligence aux hommes.

Ainsi, derrière ce mélange de vérité historique, de mythologie et de culture populaire, La Grande Muraille dissimule mal une ambition quelque peu propagandiste et complaisante à l'égard de la Chine -ambition que les scénaristes se sont sans doute vu imposer pour s'assurer les financements chinois qui auraient été plus frileux si le film donnait une mauvaise image du pays. Mais même au-delà de ces considérations politiques et diplomatiques, La Grande Muraille se révèle un blockbuster incroyablement conventionnel et insipide qui échoue à peu près sur tous les tableaux. En dehors de quelques scènes bien troussées (l'assaut dans la brume notamment), la mise en scène se révèle sans éclat et sans style -un comble de la part de Zhang Yimou, qui se trouve réduit à régler des batailles entièrement numériques et aux effets visuels pas toujours très aboutis. Cette insipidité gagne jusqu'aux acteurs, qui sont soit en déficit de charisme (Matt Damon) soit mal utilisés/pas considérés/invisibilisés par un récit qui manque de relief, d'émotion et d'humanité (Pedro Pascal et Willem Dafoe font clairement peine à voir, et Andy Lau, star absolue du cinéma de Hong-Kong, est réduit à l'état de vulgaire figurant). Mal fagoté, bâclé, maladroit, La Grande Muraille ressemble à un monstre hybride dont on aperçoit toutes les sutures. La greffe ne prend pas.

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