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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Le Cas Richard Jewell, Clint Eastwood, 2020

Publié par Romaric Berland sur 12 Mars 2020, 10:38am

Catégories : #Cinéma américain

Avec Le Cas Richard Jewell, Clint Eastwood s'offre une nouvelle cure de sympathie de la part de la critique et du public français. C'est que, dédié à la figure d'un héros du quotidien, le film aborde un sujet et un personnage bien moins problématiques que ceux de ses précédents longs métrages (American Sniper et Le 15h17 pour Paris en particulier, tout deux accusés de promouvoir un patriotisme rance et une idéologie va-t-en-guerre). En abordant la vie de Richard Jewell, un agent de sécurité accusé d'être l'auteur d'un attentat qu'il a pourtant lui-même déjoué lors des J.O. d'Atlanta en 1996, Eastwood fait la chronique d'un innocent victime d'un système médiatique et juridique délirant tout en délivrant une fable politique bien plus consensuelle sur le plan moral et idéologique. Pour autant, à rebours de ce programme évident façon "David contre Goliath", le cinéaste contrecarre le manque d'aspérité de son personnage principal par un dispositif scénaristique bien plus ambigu, à la source de nombreuses critiques et polémiques aux Etats-Unis (pourtant passées totalement inaperçues de notre côté de l'Atlantique).

Le fond du problème est qu'il y a en vérité deux films qui se font concurrence dans Le Cas Richard Jewell. Le premier, c'est un biopic historique obsédé par l'authenticité et la véracité et dont la reconstitution pointilleuse vise à réhabiliter une personnalité réelle, faux coupable et vrai héros malmené par une société carnassière. Emouvant voire poignant, ce film-là frappe par sa puissance d'évocation (la séquence de l'attentat, rejouée dans les moindres détails) et par la composition de Paul Walter Hauser qui incarne Richard Jewell avec un mimétisme bluffant. Le second, en revanche, se révèle une satire outrancière sur les médias et l'administration américaine, présentés comme une seule et même hydre prédatrice et prête à tout pour vendre du papier et trouver des coupables. Porté par l'interprétation caricaturale d'Olivia Wilde, ce scénario-là délaisse l'aspect documentaire du film-dossier et voit Clint Eastwood user des mêmes armes que ses cibles : le mensonge et la calomnie. D'où le problème posé par Le Cas Richard Jewell : s'il restaure l'honneur de son héros en retraçant la réalité de son calvaire, il salie la mémoire de Kathy Scruggs, la vraie journaliste ayant accusé Jewell, en affirmant qu'elle aurait couché pour obtenir des infos du F.B.I. -ce qui a été vigoureusement démenti. Eastwood reproduit donc sciemment le péché de ceux qu'il dénonce comme des clowns grotesques dopés aux fake news et aux histoires montées de toute pièce, au détriment de la vérité des faits.

Mais c'est qu'il y a niché dans Le Cas Richard Jewell un troisième film -plus tortueux que les deux premiers, moins abouti mais plus intéressant aussi- qui vient réunir ces deux trames réalistes et satiriques pour leur donner une cohérence nouvelle à travers un thème unificateur : la passion de la société américaine pour les "histoires". Loin de constituer des figures diamétralement antagonistes, Richard Jewell et Kathy Scruggs apparaissent comme deux individus obsédés par la mise en récit de leur réalité : le premier se montre bien prompt à vendre sa biographie à une maison d'édition et se rêve en nouveau John Wayne, farouchement hétéro et dont l'armoire est remplie de fusils d'assaut pour "se battre contre les méchants" (un peu plus tôt dans le film, il joue également le shérif de campus totalement en décalage avec la réalité, ce qui lui vaudra ses ennuis) ; la deuxième, sorte de junkie accro aux scoops, prie tous les dieux pour qu'on lui offre "une bonne histoire" et des sujets "intéressants" aptes à satisfaire ses appétits et ceux de ses lecteurs. Vu sous cet angle, Le Cas Richard Jewell s'intéresse moins à la véracité du fait divers et se présente volontiers comme une authentique farce où chacun (médias, policiers, accusé...) joue son scénario contre celui des autres -pas un hasard d'ailleurs si le film est émaillé de moments comiques. Sorte de Candide moderne persuadé de vivre dans le meilleur des mondes, Jewell ne cesse de jouer le bon samaritain qui montre pate blanche et veut aider les autorités comme si le système médiatique et juridique qui l'attaque était infaillible et allait se rendre compte de son erreur. De l'autre côté, Scruggs et l'agent du F.B.I. joué par Jon Hamm croient mordicus à la thèse du faux héros et du marginal en quête de reconnaissance, jusqu'à élaborer les hypothèses les plus absurdes pour valider leur raisonnement (Jewell aurait été aidé par un petit ami homosexuel).

De sorte que ce que raconte Le Cas Richard Jewell, c'est le dévoiement de la vérité au sein de la société américaine, théâtre d'une perpétuelle mise en scène de la réalité. A ce titre, la séquence la plus intéressante du film (qui est aussi celle qu'Eastwood a paradoxalement la moins exploitée) est bien le moment où la mère de Richard Jewell participe à une conférence de presse pour supplier le président Clinton de mettre fin au lynchage public de son fils. Car à travers cet évènement poignant où surgit le désespoir sincère d'une mère dévorée d'angoisse, se joue aussi l'instrumentalisation d'une émotion vraie à des fins spectaculaires et de communication -et l'on sait à quel point l'Amérique aime ces instants d'épanchement obscène des sentiments sur la place publique. En jouant à son insu le rôle de la mater dolorosa, la mère de Richard Jewell offre au public une autre "histoire", celle d'un mélodrame tellement simple et efficace qu'il renverse la perception de l'opinion (et Eastwood ne manque pas de filmer au premier rang Kathy Scruggs, émue aux larmes moins comme le signe d'une rédemption du personnage, encore ridicule en cet instant, mais parce qu'elle sera toujours la première à gober les histoires qu'on lui vend). C'est bien de cela dont l'affaire Richard Jewell se révèle "le cas" (belle pertinence, pour une fois, du titre français qui problématise le personnage et son histoire là où le titre américain se focalise uniquement sur la dimension individuelle). Une nouvelle fois, sous prétexte d'ajuster sa focale sur l'individu, Clint Eastwood se sert du héros comme un symptôme social qui éclaire l'Amérique en son entier.

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