Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Roma, Alfonso Cuaron, 2018

Publié par Romaric Berland sur 22 Mars 2020, 10:44am

Catégories : #Cinéma sud-américain, #Cinéma américain

Dans Roma, Alfonso Cuaron prend à contre-pied le dispositif de Gravity, son précédent long-métrage. Grand spectacle hyper-réaliste et immersif sorti en 2013, Gravity permettait au cinéaste mexicain de jouer avec les possibilités du numérique, de la 3D et de plans séquences acrobatiques pour plonger le spectateur au coeur de son odyssée spatiale. Sorti en 2018, Roma voit au contraire Cuaron quitter Hollywood pour s'associer à Netflix et proposer un projet plus singulier et personnel. Tourné en pellicule et en noir et blanc, constitué essentiellement de plans larges effectuant de lents panoramiques ou de travellings latéraux toujours à distance des personnages, le film s'inscrit explicitement dans le cadre d'un cinéma d'auteur indépendant à la grammaire plus rudimentaire et jouant de la distanciation (parfois même à outrance, Cuaron cédant à certaines afféteries du "film de festival" : voir la scène de l'incendie). Et pour cause : tourné au Mexique, en langue espagnole, Roma s'inspire des souvenirs d'enfance du cinéaste pour dresser le tableau d'une famille bourgeoise de Mexico dans les années 70, et en particulier de Cléo, leur domestique, avec en toile de fond, les bouleversements politiques et sociaux qui ont agité le pays durant la décennie.

Le blockbuster spatial cède donc la place à une ample fresque historique où le cinéaste entremêle la petite et la grande histoire. Composé de séquences pensées comme autant de tableaux à l'orchestration complexe (beaucoup de figurants, de déplacements et d'actions à l'image), Roma entrechoque l'intime et le collectif, et embrasse dans un même mouvement l'aspect trivial de la chronique sociale et la dimension épique du film historique. Autant le reconnaître, le film impressionne volontiers sur ce point, tant les plans et leur composition rendent incroyablement lisibles les rapports de force sociaux, culturels ou psychologiques qui peuvent se nouer entre les personnages, sans jamais passer par le dialogue ou des solutions de scénario mais uniquement par des choix de mise en scène. D'origine indigène, Cléo est marginalisée à la fois sur le plan social (c'est une servante), identitaire (contrainte de parler espagnole, elle ne peut utiliser sa langue maternelle, le mixtèque, qu'avec Adela, l'autre domestique de la maison) mais aussi à l'image : perdue et écrasée dans l'immensité de la foule bouillonnante lors des scènes d'extérieur, elle apparaît également rejetée dans les bords du cadre dans les intérieurs bourgeois, envahis par les enfants et leurs parents. Ainsi, Roma ausculte avec une belle acuité la façon dont l'individu rend compte, par sa place, dans son quotidien et ses interactions, de structures sociales qui le dépassent et l'englobent.

Pour autant, on ne peut s'empêcher de constater que, comme pour Gravity, Roma souffre d'un certain déséquilibre entre la puissance de ses choix formels et l'étroitesse d'un récit qui peine à dépasser la simple dimension du drame psychologique et social. A vouloir brasser large, Cuaron manque certaines de ses ambitions, et survole en particulier l'histoire de son pays plus qu'il ne parvient à l'incarner dans son récit (qui fait pourtant explicitement référence au massacre de Corpus Christi survenu le 10 juin 1971 et au cours duquel des étudiants furent tués par un groupe paramilitaire, les Faucons, soutenu par le gouvernement). Visiblement plus à l'aise lorsqu'il se place à auteur d'homme, Alfonso Cuaron préfère finalement délaisser la fresque politique au profit du mélodrame féminin : abandonnées par des hommes lâches et irresponsables, Cléo et sa maîtresse, Sofia, renversent les antagonismes de classe et s'improvisent en mères courage dignes et vaillantes face à toutes les tempêtes. A ce titre, le film ne manque pas de nous cueillir émotionnellement, notamment lors de deux séquences incroyables de violence psychologique et d'urgence viscérale (l'accouchement et le sauvetage en mer, deux morceaux de bravoure filmés en plan-séquence). Il faudra s'en contenter pour l'heure car, à défaut du chef d'oeuvre annoncé, Roma consacre une nouvelle fois Alfonso Cuaron comme un cinéaste formaliste incontestablement doué, mais pour l'heure incapable de se départir d'un certain classicisme scénaristique, au risque de l'académisme. A suivre donc.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents