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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


The Haunting of Hill House, Mike Flanagan, 2018

Publié par Romaric Berland sur 23 Décembre 2018, 14:41pm

Catégories : #Série, #Cinéma américain

Est-ce qu'on n'a pas déjà fait le tour des maisons hantées ? Grand topos fantastique, lieu commun par excellence de la peur et de ses manifestations, la maison hantée, avec ses portes qui grincent et ses fantômes cachés dans les coins, est devenue un cliché qui prête plus à sourire qu'autre chose. Surtout, avec ses allures de vieux manoir renfermé, elle se rattache désormais à un folklore bien éloigné de notre univers contemporain que les spectres ont investi avec assez de brio depuis maintenant quelques décennies (ordinateurs et écrans télé dans Ring ou Kaïro, centres commerciaux et villes modernes dans Zombie et ses ersatz). De sorte qu'en adaptant le roman La Maison hantée de Shirley Jackson (déjà à l'origine d'un classique de l'épouvante, La Maison du Diable de Robert Wise réalisé en 1963), le risque était grand pour Mike Flanagan de se prendre les pieds dans cet imaginaire désuet qui ne fait plus peur à personne. Fort heureusement, il n'en est rien : contre toute attente, le showrunner dépoussière le motif avec douceur et respect, en faisant de la maison hantée le terreau d'un mélodrame familial, où passé et présent, morts et vivants, circulent et cohabitent librement dans un espace qui se révèle au fil des épisodes comme un lieu moins maléfique et concret, que poétique et intime. 

Car c'est bien autour de l'épaisseur du temps et de la puissance du deuil que The Haunting of Hill House établit son récit. A rebours de séries reposant sur l'enchaînement de péripéties et de rebondissements scénaristiques, le show de Mike Flanagan se propose comme l'exploration psychologique d'une famille, les Crane, frappés par deux fois et à vingt ans de distance par la tragédie et la perte. Au cœur de leurs traumas passés et présents, la maison de Hill House, manoir que les parents ont acheté pour le rénover puis le vendre, et dans lequel surviennent des évènements paranormaux. Imperméable aux changements, immuable dans sa forme, Hill House incarne cette persistance d'un passé qui ne passe pas, d'un temps qui impose à chaque personnage sa permanence dans le présent. Dans les premiers épisodes, un peu laborieux, Mike Flanagan s'attarde donc sur chaque membre de la famille pour montrer la façon dont les évènements passés ont influé sur le cours de leur vie, en ont modifié la trajectoire. Les souvenirs blessent et transforment les protagonistes, dont les choix de vie sont autant de moyens de dépasser les traumas : Steve, l'aîné, s'est ressaisi de son enfance pour écrire des romans fantastiques à succès; Shirley, fascinée par la mort, dirige une entreprise de pompe funèbre et répare le corps des défunts; Luke, cadet sensible et vulnérable, a plongé dans la drogue pour guérir de ses hallucinations et rester en prise avec le réel... En confrontant passé et présent, les flashbacks et flashforwards viennent d'abord exhiber la cassure opérée par le temps sur la vie de chaque protagoniste, isolé et replié sur ses névroses. 

Mais la série dépasse bien vite ce dualisme schématique, au profit d'une mise en scène qui, loin d'opposer les espaces et les temporalités, travaille à les superposer et à les fusionner. Par le montage et le systématisme de raccords mouvement, une scène du présent ouvre sur un souvenir du passé, les gestes et les situations entrent en résonnance et dialoguent entre eux, ouvrant la brèche du temps. Surtout, c'est par l'usage de plans séquences magistraux que Mike Flanagan décloisonne le temps et l'espace, notamment dans le très bel épisode 6 qui navigue entre rêve et cauchemar, et dans lequel l'enfance et l'âge adulte, les vivants et les morts, l'ici et l'ailleurs sont rendus coprésents. Telle est la nature même du deuil : de constater à la fois l'absence de l'être cher, le vide laissé par son passage, mais aussi sa présence persistante dans le cœur et la mémoire des survivants. Dès lors, The Haunting of Hill House se révèle une déambulation mélancolique et onirique dans l'âme brisée de ses personnages, une rêverie belle et inquiétante sur la hantise de la mort et du temps qui passe. Flanagan construit sa série comme une cathédrale : d'abord cloisonnées et éloignées les unes des autres comme des piliers, les destinées des membres de la famille finissent par se réunir dans une deuxième moitié de saison en forme de clef de voûte, d'apothéose mélodramatique où la famille opère sa résilience et sa catharsis au sein même du manoir qui les a séparés. Dans The Haunting of Hill House, la maison hantée n'est plus ce berceau caricatural du Mal, cet Ailleurs maléfique dont il faut brûler les fondations pour obtenir le salut. Mike Flanagan fait de Hill House un espace mémoriel et intérieur, un lieu de recueillement intime, une tombe qu'il s'agit de clore mais aussi de préserver, pour guérir du passé et réhabiter le présent. Dans la pure tradition du fantastique, le showrunner ne statue pas sur la nature du surnaturel, qui reçoit autant d'explications rationnelles (névroses, maladies mentales) qu'irrationnelles. C'est là toute l'intelligence de la série, qui se saisit de son motif sans ironie, sans dédain, mais avec l'envie sincère de lui offrir de nouvelles résonnances, non plus sombres et angoissantes, mais tout simplement lyriques et émotionnelles. La maison hantée recèle encore des pièces secrètes et insoupçonnées.

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