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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Uncut Gems, Josh et Benny Safdie, 2020

Publié par Romaric Berland sur 6 Février 2020, 15:03pm

Catégories : #Cinéma américain

Lors du générique d'ouverture d'Uncut Gems, les frères Safdie proposent une plongée vertigineuse à l'intérieur d'un rubis dont les couleurs et la matière prennent soudain la forme d'étoiles et de galaxies, avant de se transmuter en l'intérieur d'un corps, celui du personnage principal, Howart Ratner en train de subir une coloscopie. L'introduction est évidemment humoristique mais révèle bien à quel point, aux yeux de la fratrie héritière de Cassavetes, le personnage est toujours considéré comme un univers à part entière, dont le film aura la charge d'explorer et de révéler toute la densité pendant deux heures. En faisant ainsi résonner l'infiniment grand et l'infiniment petit, les réalisateurs new-yorkais ne pouvaient pas mieux préciser leur projet : chez eux, l'immersion dans la psychée d'une personnalité borderline, complexe, aussi diffractée et rugueuse que la pierre du titre, devient aussi le vecteur d'une métaphysique, d'une manière de voir et d'habiter le monde, de jouer avec et de tromper la mort. C'était déjà le cas dans Good time, où l'intrigue de petit polar urbain se muait en grande cavalcade existentielle d'un marginal contre un système oppressif et mortifère. C'est encore plus le cas ici, où Adam Sandler, absolument survolté, incarne un diamantaire magouilleur qui joue en permanence sa famille, ses affaires et sa vie dans des trafics et des paris sportifs en tout genre.

L'occasion pour les frères Safdie de remettre sur le métier le dispositif de Good time en le radicalisant encore d'un cran : montage syncopé, gros plans au coeur de l'action et au plus près des corps, prise de son directe où domine un brouhaha permanent, rythme narratif absolument frénétique où se succède de manière éreintante cascade de dialogues et d'actions...La mise en scène incroyablement happante des réalisateurs n'est pas une gratuite démonstration de savoir-faire mais elle émane du personnage lui-même. Howart est un metteur en scène, il dirige son monde à la baguette et mène tout le monde en bateau, selon ses désirs et ses besoins, semant partout où il passe le chaos autour de lui comme l'oeil d'un cyclone. L'homme fait ainsi de l'action et du mouvement permanent son principe actif, la condition sine qua non de sa survie. C'est que son existence dépend de l'argent et de sa circularité : endetté jusqu'au cou, Howie emprunte aux uns pour rembourser les autres, ou spécule sur des sommes qu'il n'a tout simplement pas. Il a fait des règles du capitalisme la conduite de sa vie : parcourir New-York en tout sens, filer de la banlieue au centre-ville, de sa famille à sa maîtresse, de sa boutique à ses différents créanciers sont autant de moyen d'assurer la fluidité de ses transactions. Si l'argent ne tourne plus, si la vitesse faiblit d'un iota, c'est la mort assurée.

Dans Uncut Gems, c'est ainsi que le spectateur est amené à évoluer, toujours à la traîne du personnage, véritable funambule en suspension permanente entre le succès et le naufrage, le long d'une odyssée que les Safdie orchestrent en véritable tragi-comédie. Avec un authentique humour juif, les réalisateurs accablent leur héros de malheurs et d'embûches, de coups du sort et de hasards malvenus, tout au long d'un scénario pensé comme un grand huit émotionnel saupoudré d'ironie et de cynisme. Faut-il en rire ou pleurer ? Le film travaille brillamment les deux registres et entretient la confusion morale du spectateur face à la personnalité déroutante d'Howie, quelque part entre le pur raté et l'esprit génial, imbattable malgré les échecs et les pièges du destin. Il faut voir Adam Sandler interpréter son personnage d'une manière flamboyante et dénuée de recul, l'observer ahuri, devant un écran de télé où ce n'est pas seulement sa fortune mais sa vie qui se joue sous ses yeux, lors d'un match de basket homérique. On finit alors par le comprendre : la vraie drogue du personnage, ce n'est pas l'argent, encore moins le jeu, mais c'est le frisson de celui qui tente la mort dans chacune de ces actions, avec la conviction aveugle qu'il en sortira toujours vainqueur.

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