Dans Les Confins du Monde, c'est à travers le corps et ses mésaventures que Guillaume Nicloux évoque l'horreur coloniale et la déchéance de l'homme occidental. Dénué de psychologie, le film cultive l'hermétisme et se rive aux bouleversements physiologiques crées par la mise en présence de deux corps étrangers (l'Occident et l'Orient), l'un voulant assimiler l'autre, le contrôler, le pénétrer, sans jamais toutefois y parvenir.
Dans le film, les soldats sont mis en pièce, les chairs pourrissent, les membres sont castrés, les corps malades et impuissants, comme si c'était la jungle elle-même qui, tel un organisme, rejetait l'homme blanc incapable de s'y fixer. Frustrant constamment le spectaculaire du film de guerre, refusant les règles de ce genre ultra-codifié, Nicloux ne filmera que ça : l'errance d'un homme avili et brisé, petit garçon colérique et stérile incapable d'assouvir sa vengeance comme son désir (très bon Gaspard Ulliel). Ainsi, derrière le virilisme affiché des dialogues et des situations, Les Confins du Monde raconte les tourments d'une masculinité occidentale en crise, décadente, face à un Orient mystérieux du côté du féminin et éternellement insaisissable.
On pense bien sûr à Apocalypse Now, mais surtout au cinéma de Claire Denis, dans cette façon de dévitaliser l'action au profit d'une exploration sensorielle des êtres et de leurs tourments (cet "ennemi intérieur" dont parle le personnage de Depardieu). Programme très intéressant que Guillaume Nicloux dilue malheureusement dans une mise en scène excessivement poseuse et arty, qui tend à diminuer la crudité et la force de son regard.