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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


We Blew It, Jean-Baptiste Thoret, 2017

Publié par Romaric Berland sur 16 Novembre 2017, 16:36pm

Catégories : #Cinéma européen

Le film s'ouvre sur une déferlante d'énergie. Vomi par l'écran, un flot continu d'images agresse notre rétine tandis que l'hymne américain est repris en fond sonore de manière défigurée, distendue, bizarre. Tout s'emmêle et s'entrechoque : le crâne explosé de John Kennedy, l'exécution d'un jeune Vietcong pendant la guerre du Vietnam, des explosions de Napalm et des pubs télévisuelles, le visage christique et diabolique de Charles Manson, la liesse et l'horreur... En quelques minutes, c'est tous les traumas de l'Amérique contemporaine qui remontent violemment à la surface. Avec cette ouverture coup de poing, Jean-Baptiste Thoret donne à voir ni plus ni moins ce qu'il reste des sixties et seventies. Pas l'utopie : un pur et simple cauchemar. We blew it semble avoir à peine commencé qu'il a déjà tout dit de la période. Fort de ces prémisses, tout l'enjeu du film sera de se brancher sur l'étrange nostalgie des Américains pour cette décennie d'horreur vécue comme un "âge d'or". Pourquoi les années 60 et 70 fascinent-elles autant ? Quelle trace la période a-t-elle laissée sur le plan politique et dans les consciences ? A rebours d'un reportage télévisuel retraçant les grands évènements de ces deux décennies, c'est bien les restes de cette époque dans notre présent que traque Jean-Baptiste Thoret au cours de ses entretiens et de ses déplacements à travers l'espace américain, à l'heure où la campagne présidentielle fait rage et où Donald Trump s'impose de plus en plus.   

Road movie à l'humeur indéniablement mélancolique (le film est d'ailleurs émaillé de citations et de références aux grands chefs d'oeuvre de la période), We Blew It ne tombe pas pour autant dans l'écueil du passéisme. Si le film ressasse dans un premier temps les images d'Epinal propres à la décennie (les hippies, la drogue, le rock, l'activisme politique et on en passe), c'est bien l'amertume et la déception qui triomphent en bout de parcours. Derrière les propos des intervenants, souvent incapables de porter un regard lucide sur leur passé, Jean-Baptiste Thoret cherche à comprendre en quoi cette période s'est soldée par une faillite politique et idéologique. Et si le slogan "Sexe, drogues et rock'n roll" n'avouait pas la vacuité de cette utopie ? Et si la logique contestataire et anti-système portée par cette décennie n'était pas incarnée aujourd'hui par Donald Trump ? Spécialiste amoureux du cinéma américain des 70, Jean-Baptiste Thoret nourrit son regard empathique d'une violence critique qui se fait sentir de plus en plus. C'est celle d'un intervenant, qui avoue avoir couru les marches civiques uniquement pour draguer; c'est celle d'un Paul Shrader, considérant que les réalisateurs et les films d'aujourd'hui sont meilleurs que ceux de l'époque; c'est enfin la conclusion péremptoire d'un Bob Rafelson, tourné vers l'avenir et ses promesses, et définitivement "ennuyé" par les vieux combats avortés des sixties. Partant de là, Thoret se branche sur l'humeur morose d'Américains certains d'assister au déclin des Etats-Unis. La nostalgie est là, partout, pour le Grand Ouest, pour la Route 66, pour les cow-boys et les principes fondateurs, et chacun s'y agrippe comme le redneck à son revolver. Le mythe de l'Amérique éternelle infuse partout, et hante un présent comme vidé, inhabité. We Blew It est un film de fantômes, le portrait d'un pays entre deux eaux, incapable de savoir si la page d'Histoire qui est en train de s'écrire est celle de son crépuscule ou de son renouveau.  

Reste que la conclusion est sans appel : dans un dernier plan lourd de sens, Jean-Baptiste Thoret regarde le rêve incarné par les sixties et seventies s'éloigner de notre présent, passer au noir et blanc, et rejoindre le cortège des légendes. Voilà ce qu'est devenue l'Amérique de la Contre-culture : un mythe, c'est-à-dire une relecture faussée de l'Histoire, et dont il faut désormais faire le deuil. Elégiaque et funèbre, ce dernier plan bouleversant est une mise au tombeau pleine d'une résonance autobiographique de la part de celui qui fut critique de cinéma et qui désormais débute une nouvelle carrière de cinéaste. En cela, ce dernier plan ne marque pas seulement la fin d'une époque, mais il signale aussi un recommencement : fort de ce beau premier film, on souhaite à Jean-Baptiste Thoret une filmographie à la hauteur de son travail de chercheur passionné.       

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