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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Au revoir là-haut, Albert Dupontel, 2017

Publié par Romaric Berland sur 29 Novembre 2017, 17:05pm

Catégories : #Cinéma européen

Maroc, 1920 : Albert Maillard, ancien soldat démobilisé reconverti en escroc, est arrêté par la police française. Interrogé par les autorités, il est contraint de raconter son histoire, de la fin de la Première Guerre mondiale jusqu'à sa fuite dans les colonies. Si le cadre narratif choisi par Albert Dupontel peut sembler très académique (un homme raconte son aventure en flashback), il témoigne néanmoins du plaisir romanesque à l'œuvre dans son dernier long métrage. Dominé par une galerie de personnages faussaires faisant de l'Histoire un mensonge et du réel une fiction, Au revoir là-haut enchâsse une série de récits que les protagonistes se racontent et s'échangent comme des faux billets. Au cœur de cette pulsion à raconter, se loge la question du rapport à l'Histoire et sa construction. Alors que l'Armistice est sur le point d'être signé, Pradelle, un officier français, décide de lancer une ultime offensive histoire de jouer à la guerre une dernière fois. Au cours de l'assaut, Péricourt, un jeune peintre de génie, est grièvement blessé au visage alors qu'il était en train de sauver Maillard. Redevable envers le jeune homme, Maillard s'occupe de lui dans les terribles années de l'Après-guerre, marquées par la misère et l'exclusion. Jusqu'à ce que les deux hommes décident de monter une arnaque aux monuments aux morts afin de faire fortune. 

Des précédents films de Dupontel, on connaissait son talent burlesque et son goût pour le grotesque. Il faudra maintenant compter sur son sens du baroque sophistiqué. Au revoir là-haut est une fiction dense et généreuse, entre BD, slapstick et surréalisme, obsédée par le motif de la défiguration : à la destruction initiale et tragique du visage de Péricourt interprété par Nahuel Pérez Biscayart répond la défiguration de l'Histoire. Préférant se faire passer pour mort afin de cacher à sa famille sa gueule cassée, Péricourt se sert du mythe patriotique alors en vogue durant l'Entre-deux-guerres pour se venger de l'Etat et d'un père avec lequel il est en conflit. Ainsi, l'arnaque aux monuments aux morts n'est pas seulement un moyen de rafler la mise : il s'agit de jouer avec une représentation mensongère et lénifiante de la guerre pour en dénoncer l'artificialité, la fausseté (puisque les monuments aux morts que dessine Péricourt sont faux : ils n'existent pas). De sorte que le second motif central du film est bien celui du masque : à l'image de ceux que se fabrique Péricourt avec une inventivité folle pour mieux dissimuler sa gueule cassée, la fiction patriotique est un masque que la société française appose à l'horreur de la guerre, que personne ne veut voir en face. Au cœur de ce ballet étourdissant, c'est bien le lieutenant Pradelle qui mène le jeu : capitaliste cupide et homme d'affaires sans scrupule, il dirige une combine visant à remplir les cimetières municipaux de cadavres aux identités inconnues -sous couvert de restituer aux familles le corps de leur proche. A travers ces deux arnaques (les monuments aux morts, les cimetières) se niche le problème de la mémoire. Pour la France de l'Entre-deux-guerres, il s'agit d'enterrer les morts le plus vite possible et de tout oublier de la guerre. Dans la lignée de 9 mois ferme, Dupontel ne cède rien à son goût de la satire et offre une peinture acide et déboussolantes des "années folles" où dominent le pouvoir de l'argent, des affaires, et une légèreté frivole de pure façade -ce que rend manifeste ses grands mouvements de caméra tourbillonnants et virevoltants à travers les espaces et les personnages.      

Parsemé d'effusions comiques et de running gags bien sentis (les dialogues entre Niels Arestrup et le maire demeuré), le film de Dupontel n'en demeure pas moins traversé par un lyrisme touchant. Au revoir là-haut est assurément son œuvre la plus ambitieuse, mais le réalisateur reste attaché à dépeindre le calvaire d'individus victimes de l'injustice de la société. C'était déjà le cas de Bob Nolan, le cambrioleur minable de 9 mois ferme, à qui la vie n'avait pas donné toutes les chances pour s'en sortir, et qui se trouvait dans les filets d'une justice complètement dysfonctionnelle. C'est encore plus le cas ici, avec Maillard et Péricourt, ostracisés par la société française dans laquelle ils ne retrouvent pas leur place (celle de comptable et de mari pour le premier; celle de fils et d'artiste pour le second). La destinée malheureuse de Péricourt transfiguré en figure quasi-christique, dit bien en filigrane la perte de la beauté et de l'innocence dans cette époque au fond moins comique que tragique. De là découle l'imaginaire baroque et carnavalesque du long métrage, qui cultive un goût pour le bizarre, l'informe, pour la caricature et le grotesque, pour la grimace et la pantomime. Entre Terry Gilliam, Michel Gondry et même Takeshi Kitano, Albert Dupontel déploie un imaginaire poétique et enfantin, fait de bric et de broc, de cadrages obliques et de mouvements acrobatiques, qui sied bien à cette époque où, au-delà du visage du soldat Péricourt, c'est bien le monde qui n'a plus ni sens ni contours.   

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