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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Lebanon, Samuel Maoz, 2010

Publié par Romaric Berland sur 22 Août 2013, 16:49pm

Catégories : #Cinéma du Moyen-Orient

Lion d'or au festival de Venise 2006, Lebanon est une oeuvre problématique qui peine à convaincre. A partir de son expérience personnelle et traumatique de la guerre du Liban dans les années 80, Samuel Maoz entend enfermer le spectateur dans le décor confiné et claustrophobique d'un char d'assaut. Le film se pense donc comme une oeuvre hyper-réaliste et surtout immersive qui doit amener le public à faire l'expérience du vécu biographique du réalisateur. Or on voit bien le problème que soulève un tel dispositif : c'est celui de croire que l'on peut représenter et que l'on peut faire éprouver dans toute sa complexité une expérience fondamentalement impossible à communiquer. Depuis 20 ans maintenant, le genre du film de guerre est lancé dans une quête perpétuellement déçue de la véracité, en pillant notamment la grammaire du reportage et du cinéma documentaire. L'idée : nous faire vivre la guerre comme si on y était. Du FPS type Call of Duty à Lebanon, il n'y a qu'un pas : celui de la croyance naïve dans les images et dans la mise en scène, comme moyen de donner corps à une réalité intime, à un vécu. Mais Lebanon le prouve à ses dépens, le cinéma ne fonctionne pas d'une manière aussi simpliste. Reconstituer le réel, ça n'est pas le faire vivre et ça n'aide pas à le comprendre.  

La sensation d'enfermement propre au huis-clos, la reproduction minutieuse des textures, des bruits, et l'impression de désorientation à l'intérieur d'un char ne suscitent qu'un sentiment d'amusement et de curiosité (grâce à la nouveauté apportée par le dispositif scénique). Mais une fois familiarisé avec la mise en scène et ce dispositif original, Lebanon ne parvient pas à aller plus loin que son petit postulat. Pour remplir le vide, Samuel Maoz finit ainsi par enchaîner tous les lieux communs et toutes les situations attendues d'un film de guerre (l'expérience traumatique du premier meurtre, la désillusion, les massacres de civils, la désorientation morale et psychologique, les scènes intimistes de confession...). Paradoxalement, si le dispositif du metteur en scène cherchait par l'immersion un plus grand pouvoir suggestif (représenter la guerre autrement, faire voir cette réalité comme on ne l'a jamais vue auparavant), il finit malgré lui par avouer son impuissance à montrer la guerre telle qu'elle est puisqu'il n'arrive pas à sortir des clichés et des stéréotypes complètement attendus du genre. 

Le film laisse ainsi un sentiment de gâchis, d'autant que l'idée n'était pas sans promesse. En filmant à travers la lunette d'un viseur, Samuel Maoz trouve seulement un point de vue voyeuriste qui s'appesantit sur tous les détails horribles de la guerre, qui se trouvent amplifiés par des zooms et des mouvements panoramiques complaisants. Au contraire, le cinéaste aurait pu trouver dans ce viseur un puissant moyen de distanciation par rapport à un réel impensable. En donnant à sa caméra-viseur un pouvoir omniscient, le film devient lourdement démonstratif. Lebanon se révèle alors un pamphlet anti-guerre convenu, qui prend le spectateur en otage en jouant avec ses affects (voir la troublante séquence mélo et tire-larme où la caméra-viseur épie une mère qui cherche son enfant assassiné par l'armée israélienne). Maoz ne fait malheureusement qu'effleurer cette problématique du regard, ce point de vue privilégié à la fois impliqué et distancié par rapport aux évènements. Avec cette caméra-viseur, le cinéaste ne trouve jamais la bonne distance pour nous raconter son expérience : il butte contre l'impossibilité qu'a toute mise en scène -même la plus brillante et la plus immersive- à nous mettre à la place de quelqu'un d'autre que nous-même, simple spectateur de cinéma. Trop affecté par ce qu'il filme, Samuel Moaz ne parvient pas à user du cinéma et de son pouvoir de représentation comme un medium permettant de mettre à distance le passé traumatique pour le penser.

Ainsi Lebanon nous rappelle que toute idée de mise en scène, aussi originale et sincère soit-elle, ne vaut rien si le réalisateur ne la questionne pas, ne la met pas à l'épreuve dans son film. Sur le même sujet, on préférera voir Valse avec Bachir. Le film d'animation d'Ari Folman, par l'approche inédite du documentaire animé, réfléchit précisément sur le pouvoir des images à représenter l’indicible. Par la mise à distance qu'offre l'animation et son pouvoir de distorsion du souvenir, le réalisateur parvient paradoxalement à évoquer et à faire éprouver au spectateur son expérience traumatique, et à produire un discours rationnel sur celle-ci. A l'inverse, Lebanon se veut une cure psychanalytique entièrement composée d'images...et sans parole. Là est son échec. Représenter et penser la guerre, ce n'est pas nous (re)plonger dedans. C'est la mettre à distance pour agir dessus. 

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