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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Antichrist, Lars von Trier, 2009

Publié par Romaric Berland sur 4 Août 2013, 10:21am

Catégories : #Cinéma européen

Sorti en 2009 où il a choqué le public frigide et bien pensant du festival de Cannes, Antichrist est une nouvelle expérience limite signée Lars von Trier (décidément passé maître dans l'art de filmer des chemins de croix aux confins de la morale). Antichist est tout à fait représentatif de l'oeuvre du réalisateur danois : ambigu, troublant, incroyablement dérangeant, mais indéniablement poétique, passionnant, foisonnant de lectures et d'interprétations (grâce à son ambiguïté morale).

Antichrist nous plonge dans l'imaginaire tourmenté d'un couple frappé par le deuil, et à travers lui, dans l'imaginaire obsessionnel de Lars von Trier. Délaissant la dimension parfois sociale de ses films (voir le Direktor ou Breaking the Waves), Lars von Trier nous plonge dans un univers mental malade, surchargé de motifs obsessionnels, de visions hallucinatoires, de symboliques psychanalytiques et bibliques. Le réalisateur donne forme à ce qu'il appelle "le versant sombre" de son imaginaire. Dans cet univers de fantasmes, la culpabilité chrétienne se mêle à la violence et à la jouissance sexuelle, les superstitions ancestrales du Moyen-Age se révèlent plus fortes que le cartésianisme moderne, bref, l'esprit se trouve englouti par toutes les peurs inconscientes et primaires de l'homme face au spectacle du monde. La mort de l'enfant plonge la mère dans l'enfer du deuil. Son mari, un inquiétant thérapeuthe froid et analytique, tente de la délivrer de cette douleur en pratiquant sur elle des expériences pour la guérir de l'angoisse et de ses superstitions. A l'univers monochrome et onirique du prologue (tourné en noir et blanc comme pour souligner la manichéisme de ce monde où le bien et le mal sont illusoirement distincts) la mort de l'enfant plonge le couple dans un chaos visuel en couleurs, filmé dans une photographie très travaillée qui souligne chaque tons. Cherchant à se reconstruire dans la nature, le couple fait un pèlerinage dans la forêt d'Eden où, loin d'y trouver la quiétude, ils vont faire l'expérience de la folie et de l'égarement. Ni rassurante, ni apaisante, la Nature apparaît comme le théâtre qui reconduit et rejoue perpétuellement la mort du fils, elle est ce lieu où les êtres vivants naissent et meurent de manière aléatoire, indifférente, cruelle. Loin de délivrer une vision idyllique et pastorale, Lars von Trier veut mettre en lumière l'aspect angoissant de la Nature, sa sauvagerie, bref, le Mal qui l'habite. "La Nature est l'Eglise de Satan" confessera la mère, horrifiée par le spectacle de la Création qu'est cette nature hallucinée, cannibale, chaotique.

Lars von Trier laisse ainsi libre cours à son imaginaire : les animaux parlent et professent le chaos, ils accouchent de cadavres, et les fauves rugissent et s’entredévorent la nuit tombée... Par un renversement de perspective intéressant, la nature n'offre pas le spectacle euphorique de la vie dans son plus bel éclat. Au contraire elle se révèle le théâtre d'une agonie généralisée, où tout ce qui existe est par définition voué à mourir, à être englouti par la mort, l'injustice suprême. Il n'est donc pas surprenant que la violence psychologique et physique soit au coeur d'AntichristLe réalisateur danois est animé par une pulsion scopique jusqu'au-boutiste et il n'hésite pas à filmer plein cadre la violence que s'infligent ses personnages, quitte à engager des acteurs pornos pour pouvoir montrer sans pudeur les sévices corporels qu'ils se font subir. Eros et Thanatos sont les deux obsessions majeures du film : la sexualité, c'est l'acte qui précède la création, c'est donc l'acte à l'origine de l'horreur qu'est la vie. C'est donc aussi celui qui précède la mort. Lars von Trier ne se donne aucune limite pour donner chair à sa conception métaphysique du monde et il n'hésite pas à transgresser, presque naïvement, tous les tabous. Il y a indéniablement une part de puérilité dans cet exercice de style nihiliste, qui veut tout filmer, tout montrer, en suivant une stratégie du choc permanent. Mais peut être est-ce un geste nécessaire pour le metteur en scène, afin de mettre à distance les images qui le hantent, afin d'exorciser les traumas et les peurs qui l'habitent, à l'image de son héroïne. Comme tentative de psychanalyse, de catharsis par l'image, Antichrist est assurément un acte courageux et important, malgré son manque absolu de décence et sa violence extrêmement brutale. En ce sens, la dédicace adressée à Andreï Tarkovski apparaît comme la provocation ultime de Lars von Trier, réalisateur rebelle qui s'affranchit, tel un adolescent, de ses modèles en leur adressant ce qui ressemble de près comme de loin à un doigt d'honneur...Mention spéciale au duo Charlotte Gainsbourg-Willem Dafoe qui ne fait pas les choses à moitié.

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A
Je n'ai pas vu le film et n'irai probablement jamais le voir, mais j'apprécie la concision, la finesse de votre remarquable analyse.
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R
merci à vous !

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