Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Les Misérables, Ladj Ly, 2019

Publié par Romaric Berland sur 5 Décembre 2019, 16:53pm

Catégories : #Cinéma européen

Dans Les Misérables, Ladj Ly ouvre et clôt son film sur deux mouvements collectifs : d'abord, la célébration populaire de la victoire à la Coupe du Monde 2018 dans les rues de Paris ; ensuite, une violente émeute de banlieue dans la cité de Montfermeil suite à une bavure de police. Deux mouvements en apparence contradictoires mais qui se trouvent rapprochés par le réalisateur comme s'ils étaient traversés par une seule et même énergie. Pour Ladj Ly, que l'on passe de la liesse au chaos, du bonheur d'être français à la décharge de haine antisociale, c'est en vérité une seule et même jeunesse qui s'exprime et qui réclame son droit à la reconnaissance -autant qu'elle clame son sentiment d'appartenance. Le trait d'union entre ces deux évènements sera le personnage d'Issa, jeune gamin des quartiers transformé par les circonstances en Gavroche moderne à la suite d'un tir de LBD.

Entre les deux, Ladj Ly compose la trame d'un polar urbain naturaliste et tendu filmé du point de vue de trois policiers de la BAC en immersion dans la cité. L'occasion pour le cinéaste de faire de Montfermeil un terrain de jeu autant qu'une zone à explorer, où le réalisateur présente avec efficacité les structures parallèles d'une communauté abandonnée par les pouvoirs publics. Le discours et la démonstration ne sont pas neufs, mais force est de reconnaître qu'à l'image de ses plans répétés filmés depuis l'oeil d'un drone, Ladj Ly parvient à prendre de la hauteur pour embrasser la complexité humaine de son sujet -à défaut d'en embrasser la complexité politique. Car à l'image de son titre tiré du roman de Victor Hugo, Les Misérables s'attache à représenter une collectivité d'individus à la fois responsables et victimes du climat délétère dans lequel ils se trouvent tous plongés. Cela permet à Ladj Ly de déjouer l'écueil du manichéisme ou d'une représentation trop partisane du sujet. Que l'on soit flic ou voyou, chacun participe à la mise en place d'un statu quo tacite pour que la situation des banlieues reste maîtrisable et ne déborde pas -les uns, afin qu'ils donnent l'impression de rester maîtres de la situation, les autres, pour que leur business ne soit pas entravé. Coincé entre ces deux intérêts complices, se trouve la jeunesse incarnée par Issa, dont la parole et le droit à la justice sont tout simplement niés.

Dès lors, fort de cette installation, la mise en scène de l'émeute finale est particulièrement intéressante en ce qu'elle déboute les représentations traditionnelles et médiatiques de ce type d'incidents (où les jeunes se réduisent systématiquement à des silhouettes menaçantes animées par une pure force de destruction aveugle qui, immanquablement, fait peur car elle semble sans objectif). Dirigée autant contre la police que contre les trafiquants, le déchaînement de violence final enclenché par Issa devient moins l'expression d'une haine viscérale contre les institutions, le pouvoir ou la société en général qu'une insurrection citoyenne -osons le mot- contre les forces associées à perdre le quartier et à oppresser ses habitants. C'est bien là que se joue l'intérêt des Misérables, dans ce renversement de perspective que le film offre sur la banlieue et ceux qui la font vivre, même lorsqu'il s'agit pour eux de tout saccager. On aurait sans doute attendu plus que ce simple projet humaniste. Mais, pour un premier long métrage, il faut reconnaître à Ladj Ly la capacité d'avoir pu parler d'un tel sujet avec mesure tout en évitant la majorité des travers qui lui sont inhérents.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents