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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Once Upon a Time in...Hollywood, Quentin Tarantino, 2019

Publié par Romaric Berland sur 26 Août 2019, 12:01pm

Catégories : #Cinéma américain

Il était une fois...Telle une formule magique, ces quatre mots ramènent le lecteur/spectateur dans le territoire de l'enfance, celui des contes de fées et des mondes enchantés, en même temps qu'ils l'invitent dans un univers radicalement coupé de son quotidien. "Il était une fois" et nous voici transportés dans un autre temps et un autre lieu irrémédiablement séparé de notre réalité. A l'abri du monde et de ses turpitudes, immergé dans la fiction, on peut y éprouver sans crainte les plaisirs de la rêverie et de l'émerveillement. En conviant cette formule dans le titre de son dernier long métrage, Once upon a time in...Hollywood, Quentin Tarantino invite le public dans son royaume enchanté à lui, soit le Hollywood contre-culturel de la fin des années 60, âge d'or du cinéma d'exploitation et du western spaghetti. Suivant les déboires de Rick Dalton, acteur de second plan en perte de vitesse, et de son cascadeur, Cliff Booth, au sein d'une industrie en profonde mutation, le film ressuscite cette période d'insouciance animée par l'esprit du flower power sur un mode élégiaque rappelant également la trilogie proustienne de Sergio Leone (Il était une fois dans l'Ouest, Il était une fois la révolution, Il était une fois en Amérique). De fait, située en 1969, cette parenthèse dorée est sur le point de prendre fin, menacée par les "grands méchants loups" de l'époque : soit le gourou Charles Manson, et sa famille de hippies bientôt coupable du meurtre brutal de l'actrice Sharon Tate qui plongera l'Amérique et Hollywood dans la psychose tout en mettant fin aux utopies du moment.

Pendant la majeure partie de son développement, Once upon a time in...Hollywood se tiendra consciencieusement à cette partition nostalgique, en alignant autant de petites madeleines : caméos de vedettes de l'époque, pastiches de classiques comme La Grande évasion, et reconstitution minutieuse de l'atmosphère bouillonnante du Los Angeles d'alors à travers une bande son rock et folk parfaitement attendue. Conduit avec un humour et une énergie qui n'appartiennent qu'à Tarantino, le scénario épouse la forme d'un récit gigogne multipliant les scénettes et les digressions et trouve à travers son duo de vedettes en quête de succès les ferments d'un authentique buddy movie insouciant et enjoué. Tempérant les élans dépressifs de Rick (DiCaprio, fragile et chancelant) par la puissance sereine de Cliff (Pitt, entre douceur et brutalité), le film, au gré des succès et des échecs de son tandem, refuse une ligne narrative clairement orientée et se propose plutôt comme une déambulation joyeuse dans les dédales de l'usine à rêve. Tout l'enjeu sera alors pour Tarantino de faire entrer comme par effraction dans cet univers en vase-clos la violence de l'époque jusqu'ici rejetée en coulisse. Cela passera d'abord par la visite inopinée de Cliff au ranch Spahn, ancien lieu de tournage de westerns infesté par la famille Manson -symbole d'une époque et d'une ère de cinéma déjà en voie de pourrissement. Grande trouée d'angoisse dans un récit jusque-là ensoleillé, la séquence joue comme point de bascule et révèle l'aveuglement de ses héros, incapables de voir le Mal se propager dans leur paradis californien sur le point de virer au bad trip ("c'est toi qui es aveugle, pas Spahn" beugle en substance la horde de hippies hystériques lors du départ de Cliff).

Mais le coup de force de Once upon a time in...Hollywood sera de refuser la fatalité de l'Histoire et de conjurer la mélancolie. Dans un geste similaire au final d'Inglorious Basterds, Quentin Tarantino trouve dans le cinéma le pouvoir de transformer le passé, et de racheter la tragédie du réel en happy end de conte de fée. La boucherie finale (au cours de laquelle ce sont les hippies de la famille Manson qui sont littéralement mis en pièce et non Sharon Tate et ses invités) est un moyen détourné afin de représenter l'horreur du fait divers tout en le convertissant en catharsis salutaire. L'extrême violence de la séquence, loin d'être gratuite, joue avec l'inconscient des spectateurs et les images que chacun s'est fait du crime, pour le filmer en négatif. Mais si la mise à mort d'Hitler dans le film de 2009 tenait plus de la plaisanterie, le sauvetage de Sharon Tate, dans ce conte moderne, vient exorciser l'histoire américaine en rêvant, à travers la survie de la princesse, celle de l'utopie qu'elle incarne et du Camelot sur lequel elle règne -soit l'Amérique de la contre-culture et les idéaux révolutionnaires qui étaient les siens. Révolutionnaire, le cinéma de Tarantino l'est devenu sans l'ombre d'un doute et Once upon a time in...Hollywood parachève une mutation de fond engagée depuis longtemps (soit Boulevard de la mort, premier film mal compris/mal reçu d'un cinéaste jusqu'ici adulé). A l'image de ses héros de fiction inconscients rattrapés par la grande Histoire et la réalité d'un monde explosif, l'oeuvre de Quentin Tarantino, jusqu'ici étroitement repliée sur ses hommages, ses clins d'oeil et ses références, est entrée dans l'âge adulte en accueillant en son sein le monde réel et la violence qui l'habite. S'attaquant de front aux grands récits fondateurs et sanguinolents de la mythologie américaine, le cinéaste, d'un geste vengeur, liquide les Nazis, torture les racistes...et crame les sorcières. Autant de figures du Mal dont l'Amérique et ses idéaux doivent se libérer pour qu'un jour, les rêves ne prennent plus jamais fin.

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