Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Les Frères Sisters, Jacques Audiard, 2018

Publié par Romaric Berland sur 30 Septembre 2018, 10:36am

Catégories : #Cinéma européen, #Cinéma américain

Les Frères Sisters est un commentaire sur la violence qui innerve le western depuis ses origines, violence que le genre a toujours présentée comme fondatrice des Etats-Unis, et que Jacques Audiard frappe ici d'inanité. Le cowboy, figure mythologique, archétype de virilité puissante et émancipée qui a fabriqué l'Amérique en domestiquant la sauvagerie du continent, se trouve rabaissé de son piédestal et humilié avec malice par le cinéaste français. Ici, la violence de Charlie et Eli Sisters ne fonde rien (ni foyer, ni Etat, ni justice), mais elle consume tout, à commencer par eux-mêmes. Dès sa scène inaugurale, le film dénonce l'épanchement de cette énergie sanguinaire dépensée pour rien : la grange brûle, les chevaux crament et à travers eux, c'est l'Amérique qui prend feu, avec les rêves de renouveau qu'elle incarne.

Dans le contrechamp de ce duo brutal dépositaire d'une violence d'un autre temps et donnée en héritage par leur père, se tiennent Morris et Herman Kermit Warm, les vrais héros du film, prophètes bien décidés à concrétiser les promesses utopiques du Nouveau monde. Ce sont eux qui auraient dû être les Pères fondateurs du pays, ce sont eux qui auraient dû mettre fin à la barbarie du Vieux monde incarnée par la fratrie décadente, en émancipant l'homme par la science et un projet de société nouvelle. Mais comme dans La Porte du Paradis de Michael Cimino, on est resté au seuil de l'Eden américain, tué dans l'œuf par l'avidité et la brutalité, celles-là mêmes qui fondent la figure du cowboy depuis toujours. Ne reste plus à Audiard qu'à infantiliser ses personnages, à moquer leur prétention de puissance et leur soif de renommée comme autant de comportements puérils, ceux de deux gamins restés dans l'enfance et enfermés dans le corps d'adultes qui n'ont jamais cesser de jouer au shérif et au bandit. 

Les Frères Sisters ne renouvelle pas le western. Là n'est pas l'ambition de Jacques Audiard : il s'agit au contraire d'en produire la critique idéologique, sous couvert d'en rejouer la partition à la lettre. Jusque dans son final absolument brillant, qui cite explicitement La Prisonnière du Désert de John Ford pour en produire tout simplement le négatif : alors que John Wayne se refusait à retourner dans son foyer, à mettre fin à son errance de cowboy et préférait demeurer dans les espaces mythiques de Monument Valley, les frères Sisters décident de retourner dans le giron maternel, de déposer une bonne fois pour toute les armes, de mettre un point final à cette violence qu'ils n'ont cessée de déployer et qui a fini par leur exploser à la gueule. Les frangins ont été de vilains garçons, l'heure est désormais à la fessée, pour enfin grandir, pour enfin devenir de vrais hommes. Et non cette caricature viriliste, grimaçante et cabotine qu'on appelle le cowboy. Sous des dehors extrêmement humbles dont il ne nous avait plus habitué depuis longtemps, Jacques Audiard respecte avec simplicité les canons du genre pour mieux tirer un trait définitif sur le western et ses oripeaux. Et trouve son film le plus intelligent et le plus accompli depuis longtemps.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents