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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Sayonara, Koji Fukada, 2017

Publié par Romaric Berland sur 23 Mai 2017, 17:45pm

Catégories : #Cinéma asiatique

En octobre dernier sortait Homo Sapiens de Nikolaus Geyrhalter, un documentaire expérimental uniquement composé de plans fixes sur des friches urbaines et industrielles, et qui montrait, dans un geste prospectif, la disparition de l'Humanité de la surface du globe. A travers la ruine, le cinéaste nous amenait à imaginer un monde sans homme et dont ne subsisterait que les traces de son passage sur Terre. Aujourd'hui, c'est à une semblable expérience que nous invite Koji Fukada avec Sayonara, à ceci près qu'il filme au présent cette disparition de l'espèce humaine : dans un futur proche, au Japon, treize centrales nucléaires explosent des suites d'un attentat. Quelques mois plus tard, tandis que les Japonais sont progressivement évacués dans les pays voisins, une réfugiée sud-africaine atteinte d'une maladie incurable, Tania, attend son ordre d'évacuation en compagnie de son androïde, Leona, dans une maison au milieu des montagnes.      

Devant Sayonara, il nous vient souvent en tête cette citation extraite de The Hollow Men de T.S. Eliot : "C'est ainsi que finit le monde. Pas sur un Boum, sur un murmure." Koji Fukada filme la lente agonie d'une femme et d'un monde, dans un dispositif incroyablement austère et minimaliste. Adapté d'une pièce d'Oriza Hirata, le long métrage retrouve son origine théâtrale dans la rigueur de sa mise en scène : une unité de lieu (une maison, les champs et routes alentours), quelques personnages, et des scènes de dialogue filmés dans d'implacables champs/contrechamps. Loin du spectaculaire des films catastrophes, le cinéaste sonde une apocalypse qui se joue à l'échelle intime, dans la conscience de ses personnages, confrontés à leur propre finitude. Que faire face au désastre ? Gardant en arrière fond le spectre de Fukushima, Fukada observe l'homme en moraliste un peu misanthrope. Tandis que les uns établissent sur les cendres du monde le projet fou de se marier, d'autres, trop conscients du néant, s'oublient dans des pogos lors de concerts de hard rock avant de se jeter dans un brasier. Comme pour chacun de ses films, le réalisateur double son récit d'anticipation d'une fable sociale. Malgré la fin du monde, l'homme ne guérit pas de ses travers : les premiers évacués du Japon sont les plus riches ou les plus socialement avantagés, tandis que les plus démunis doivent faire avec la radioactivité. Témoin de ce pays en pleine déliquescence, Tania, abandonnée de tout et de tous, confie ses observations et ses réflexions à son androïde, rendu dépositaire des derniers jours de l'Humanité. A travers cette relation entre l'homme et la machine, Fukada interroge ce qu'il restera de l'espèce humaine après son extinction. En partageant ses souvenirs des violences en Afrique du Sud, ses émotions et ses sensations face au monde expirant, Tania éduque son robot à la sensibilité, lui transmet son humanité, et l'initie à la beauté.

C'est d'ailleurs là que réside le coeur de l'entreprise de Fukada, dans cette transfiguration poétique de la mort, de la vie qui s'évapore. Sayonara est un poème filmique mélancolique et touchant, une nature morte qui pousse à l'humilité, une méditation sereine qui ressasse pendant près de deux heures un memento mori tragique. Très inspiré par le sublime Mère et fils d'Alexandre Sokourov, Koji Fukada crée une oeuvre contemplative et pudique, dont la poésie repose sur de longs plans fixes, à la durée étirée, permettant au cinéaste de faire sentir physiquement au spectateur le passage du temps (à travers notamment les variations de lumière, magnifiquement captées par une photographie cendreuse).  Oscillant entre gros plans et plans larges, le cinéaste passe de l'intime au cosmique, du personnage au paysage, fait résonner l'un dans l'autre, tout en montrant la place dérisoire que l'homme occupe dans le monde. Fukada va même jusqu'à reprendre au cinéaste russe ses plans anamorphosés, comme un moyen de signifier la distorsion d'un monde où tous les repères s'effondrent. Néanmoins, face à cette reprise affichée et assumée du travail de Sokourov, on peut regretter un manque d'originalité de la part de Fukada, qui préfère se mouler sciemment dans le style d'un autre plutôt que de créer sa propre identité. C'était déjà le grief que nous portions à son film sorti en janvier dernier, Harmonium, qui était placé sous le patronage de Kiyoshi Kurosawa et de Kim Ki-Duk. Avec Sayonara, Koji Fukada prouve définitivement qu'il est un metteur en scène brillant, mais pas encore un auteur authentique et singulier du cinéma japonais. Reste que ce dernier film est assurément son oeuvre la plus accomplie et la plus ambitieuse, un requiem beau et doux, comme une caresse d'adieux donnée à un être cher trop longtemps disparu.        

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