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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Get Out, Jordan Peele, 2017

Publié par Romaric Berland sur 26 Mai 2017, 08:15am

Catégories : #Cinéma américain

Le film s'ouvre sur un quartier résidentiel, la nuit. Seul sur le trottoir, un jeune Noir traverse la rue, visiblement perdu. Nerveux, il n'aime pas l'idée de traîner le soir dans ce quartier dit "de blanc". C'est alors qu'une voiture -blanche évidemment- fait lentement irruption dans le fond du cadre et semble le surveiller. De plus en plus effrayé, le jeune Noir décide de subitement rebrousser chemin avant de se faire assommer et kidnapper par le mystérieux conducteur. Avec cette scène d'introduction particulièrement efficace, le réalisateur Jodan Peele organise une montée d'angoisse d'autant plus terrifiante qu'elle repose sur un frisson parfaitement réel : le sentiment d'insécurité des Noirs afro-américains aux Etats-Unis, que le film, par l'identification au personnage, nous fait ressentir immédiatement. A l'autre bout du long métrage, se trouve un frisson similaire : alors que le héros est parvenu à se venger de ses tortionnaires, une voiture de police arrive. Survient alors chez le spectateur comme chez le personnage une seule hantise : le policier verra-t-il en lui la victime ou, par la force des préjugés, sera-t-il considéré comme coupable ? En réveillant de manière fugace mais tenace le spectre des récentes bavures policières relayées par les médias, Jordan Peele ancre l'argument horrifique de son scénario dans un contexte parfaitement réaliste et d'actualité. L'horreur qu'il entend filmer n'est pas un Mal métaphysique ou surnaturel, mais bien plutôt historique et social.  

C'est là toute la force de cette petite série B d'horreur qu'est Get Out. En revisitant le pitch de Devine qui vient dîner de Stanley Kramer (1967), Jordan Peele interroge l'évolution des mentalités dans l'Amérique de l'après-Obama, pour poser un constat net et sans ambiguïté : derrière l'image progressiste du premier président noir des Etats-Unis, l'Amérique raciste couve plus que jamais. Cette craquelure d'une image désormais écornée après l'élection de Donald Trump, Jordan Peele l'organise à l'échelle même de son film à travers la belle-famille blanche que Chris, jeune Noir amoureux de la belle Rose, va rencontrer le long d'un week-end plutôt éprouvant. Formant en apparence un couple de démocrates éclairés et branchés, Dean et Missy Armitage se révéleront un duo de freaks complètement maboules, à la pointe d'un racisme nouvelle tendance (puisqu'être noir aujourd'hui, c'est cool, autant revêtir les oripeaux du moment en transplantant son cerveau dans un jeune black lobotomisé). Mais le succès populaire du film tient aussi dans la capacité de Jordan Peele à arrimer sa critique sociale sur le format d'un petit film d'horreur commercial (le long métrage est produit par la maison de production Blumhouse, déjà derrière les succès de Paranormal activity ou Insidious). A la réalisation, Peele se contente de faire le job, sans chichi ni esbroufe, même si on déplore un peu sa tendance à surligner, dès le début, l'aspect anormal et complètement dingo de cette famille (autant vous dire qu'à la place de Chris, on n'aurait pas attendu le dessert pour partir). Venant du milieu de la comédie, il jongle assez habilement entre les tonalités, aménageant des plages d'humour inattendu (grâce au comic relief du personnage de Lil Rel Howery) avant d'achever son récit dans une partie de massacre cathartique, calquée sur le modèle du final pétaradant et sanguinolent de Django Unchained de Quentin Tarantino.      

Au fond, les deux films partagent d'ailleurs une même ambition : parasiter un genre culturellement réactionnaire ou puritain (le western et sa peur de l'Indien, le film d'horreur et sa hantise du Mal) pour nous faire endosser le regard de l'Autre, c'est-à-dire du Noir, éternel second rôle du cinéma hollywoodien (qui s'adresse depuis toujours au même public cible : le mâle blanc issu de la classe moyenne). C'est ce renversement qu'opère Get Out : faire éprouver à l'homme blanc la peur de l'homme noir. Car, ici, le monstre n'est plus incarné par la minorité sociale mais par le Blanc dégénéré, et toujours représenté dans le film comme un vieux croûton décati ou un redneck aviné. Celui qui fait peur, c'est nous, spectateurs blancs engoncés dans nos certitudes (à l'image des Armitage, qui ont voté Obama, mais qui plaquent sur les Noirs des préjugés raciaux : ils sont plus beaux, plus costauds, plus cools). Certes, il n'y a rien de fondamentalement nouveau dans ce renversement culturel et axiologique du cinéma commercial. Mais c'est là tout le charme du cinéma de genre : sa plasticité, qui peut lui faire endosser les discours les plus conservateurs ou les plus subversifs. Et Jordan Peele s'en sert avec beaucoup d'a propos.    

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