Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Show Me a Hero, David Simon, 2015

Publié par Romaric Berland sur 1 Mai 2017, 12:04pm

Catégories : #Série, #Cinéma américain

"Montrez-moi un héros et je vous écrirai une tragédie". C'est à cette citation de F. Scott Fitzgerald que Show me a hero doit son titre. Avec cette mini-série de 6 épisodes, le showrunner David Simon raconte le combat politique de Nick Wasicsko (Oscar Isaac), élu plus jeune maire de Yonkers dans l'état de New-York dans les années 80, et qui s'est trouvé contraint par la justice d'appuyer le projet de construction de logements sociaux dans un quartier résidentiel à majorité blanc. Seul contre un conseil municipal réfractaire et contre une population excédée, Wasicsko n'en sortira pas indemne. Dans la lignée de The Wire, David Simon produit une mini-série d'une incroyable densité et traversée par une ambition toujours aussi vertigineuse : raconter toute une ville à travers la collection de destins individuels, étudier à la loupe le fonctionnement de la société américaine, et filmer les rouages du jeu démocratique à toutes les échelles (de l'individu, du groupe, du système). Dans cette exigence scientifique et encyclopédique qui est la sienne, le projet de David Simon n'est pas étranger à celui des écrivains réalistes et naturalistes que sont Emile Zola (avec le cycle des Rougon-Macquart) ou Honoré de Balzac (avec la Comédie humaine). Comme à son habitude, le scénariste et showrunner parvient à conjuguer dans un même geste densité dramaturgique, exigence didactique et engagement politique pour un résultat qui laisse encore une fois admiratif.

Autant vous dire d'emblée qu'on n'est pas dans House of cards. Loin des intrigues shakespeariennes et racoleuses de cette série faussement "politique" qui tient plus du thriller sensationnel, Show me a hero observe les multiples lignes de fracture qui structurent la société et la politique américaines : entre l'individu et les institutions, entre les Blancs et les Noirs, entre les quartiers défavorisés et les banlieues résidentielles, entre les intérêts particuliers et l'intérêt général. La force de David Simon est de rendre vivant tous ces antagonismes, de montrer leur imbrication avec une acuité féroce, en faisant dialoguer races, classes et institutions. Ce qu'il observe, c'est la circulation d'un conflit à travers une société qui vit, dans ses contradictions, dans la violence et la passion, la beauté du jeu démocratique. Chez Simon -et c'était déjà le cas dans The Wire-, la démocratie n'est pas un principe désincarné : c'est une énergie vivace et bouillonnante qui anime toute la société. Reste que le scénariste n'en demeure pas moins critique à l'égard du système américain, pointant avec véhémence tous ses dysfonctionnements (ce qui a valu à Simon le surnom de "l'homme le plus en colère de la télévision"). Dénonçant le racisme (plus ou moins) latent de la classe moyenne blanche, les magouilles politiques, l'urbanisme sectaire, le showrunner montre encore une fois la dissolution des idéaux américains dans le règne du chacun pour soi. Dans cette façon très didactique et limpide de rendre compte du jeu des institutions, de dénoncer les contradictions idéologiques de la société américaine et d'observer l'écrasement de l'individu dans ses rouages, l'oeuvre de David Simon manifeste une filiation évidente avec le cinéma de Sidney Lumet. Nick Wasicsko est un double de Franck Serpico (ce qu'appuie le jeu d'Oscar Isaac, qui s'impose bel et bien comme le digne successeur d'Al Pacino depuis A most violent year), un homme responsable et fidèle à ses d'idéaux, à qui la société fera payer son intégrité. Ayant fait campagne contre le projet immobilier, le maire se voit obligé de rendre les armes une fois son appel rejeté par la justice qui menace la ville de lourdes sanctions économiques si le projet n'est pas validé par son conseil. Suivant la règle de l'intérêt général face à la menace de nombreux licenciements, conscient qu'il offre à toute une frange défavorisée de la population le moyen de sortir de la misère et de l'insécurité des quartiers, Wasicsko retourne sa veste pour le bien de tous : on le lui fera payer. Inspiré d'une histoire vraie (faut-il le rappeler), Show me a hero se veut aussi la réhabilitation d'un parcours politique courageux (mais pas dénué d'ambiguïtés) et d'un homme broyé par la machine politique et médiatique.  

Mais ce qui touche surtout, c'est l'exigence éthique que manifeste David Simon dans chacune de ses créations (The WireTreme aussi bien que Show me a hero), en faisant de ses histoires la chambre d'écho de toute la population américaine, en donnant une voix et un visage à tous, le maire comme le délinquant, le citoyen comme l'homme de pouvoir, le Blanc comme le Noir -au-delà des clichés véhiculés par d'autres films ou séries télévisées. Il s'agit de rendre à chacun son humanité, de renverser les étiquettes ou les pensées toute faites accolées par les médias (aux habitants des quartiers sensibles, qui ne sont pas que des délinquants multi-récidivistes; aux hommes politiques, qui ne sont pas tous pourris), à l'image de cette scène où les opposants au projet visitent les tours des quartiers et rencontrent leurs habitants, ces "autres" qui ne sont finalement pas si différents. De sorte que la structure chorale de ses récits n'est pas un artifice narratif ou une affèterie stylistique : c'est une nécessité vitale, pour ne pas dire organique, de filmer la société comme une arborescence travaillée par la diversité, et où, pour citer Renoir, "chacun à ses raisons". Telle est "la règle du jeu" démocratique (et l'on sait que Simon aime particulièrement cette métaphore du jeu pour signifier le fonctionnement du système) : à l'intersection du particulier et du collectif, la construction patiente et difficile d'un terrain d'entente qui soit commun. C'est ce qui relie le travail de David Simon à toute une tradition du cinéma classique américain, celui de John Ford ou de Frank Capra plus encore, où la fiction devient la réalisation d'un fantasme politique : celui de dépasser tous les antagonismes (de classe, de race) au profit d'une société juste et égalitaire, pacifiée et rassemblée (voir les pancartes "no justice, no peace" que brandissent tour à tour les manifestants opposés puis favorables au projet des logements sociaux). Moins pessimiste que ne l'était The Wire, Show me a hero est aussi le récit exemplaire d'une action politique qui a compté, au service du progrès social, d'un bien commun. Leçon belle et amère de politique et d'urbanisme, d'écriture et de mise en scène (à la réalisation des six épisodes, Paul Haggis fait le job), cette mini-série de David Simon est un nouvel exemple de programme télévisuel exigent et divertissant, instructif et engagé, qui mérite d'être connu, imité et diffusé à n'en plus finir.              

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents