Ma Loute, Bruno Dumont, 2016

Un film tout simplement hors-norme : avec Ma Loute, Bruno Dumont produit un OVNI monstrueux, une comédie noire absolument féroce et à la liberté de ton folle.

Du burlesque le plus régressif au lyrisme le plus beau, de l'horreur gore à la poésie mélancolique, le réalisateur jongle avec une indéniable maîtrise entre les genres et les registres, il expérimente à tout va sans craindre le ridicule, l'outrance, le flop. Avec son bestiaire de monstres grotesques, de corps difformes et d'esprits malades, d'aristocrates décadents et de paysans sanguinaires, il tire un récit d'une extrême densité, à la fois satire sociale joyeusement caricaturale, histoire d'amour solaire et tragique, et portrait métaphysique d'un pessimisme incroyable sur la bête humaine, celle déjà moquée avec joie dans P'tit Quinquin dont Ma Loute constitue un prolongement radical. Comme dans la mini-série de 2014, l'humour et le rire en apparence inconséquents et malicieux viennent révéler en contrepoint un réel absolument dramatique et désespérant qui nous frappe de plein fouet. Et tout ça, Dumont l'inscrit dans les paysages maritimes du Nord sublimés par sa mise en scène et parfaitement incarnés par son écriture.

Ma Loute est tout simplement une oeuvre anachronique, un film moderne et daté, où Laurel et Hardy, le slapstick et la BD sont récupérés et réinventés par Dumont, qui se paie même le luxe de nous faire redécouvrir Fabrice Luchini comme on ne l'avait jamais vu. Face à une oeuvre aussi entière, insolente, originale, on se demande comment Dumont a fait pour convaincre acteurs et producteurs de se lancer dans ce qui ressemble de près comme de loin à un pari tout simplement suicidaire. Si George Miller a des couilles, Ma Loute ne devrait pas repartir de Cannes bredouille...