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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Arirang, Kim Ki-Duk, 2011

Publié par Romaric Berland sur 30 Décembre 2013, 16:41pm

Catégories : #Cinéma asiatique

En 2008, Kim Ki-Duk sort Dream, premier véritable échec critique et public qui marque le début d'une crise d'inspiration chez le génial réalisateur coréen. Commence alors une longue période de silence (qui durera trois ans) de la part d'un cinéaste jusqu'ici ultra-prolifique et encensé (une quinzaine de long-métrages étalés sur une dizaine d'années, et des prix dans les grands festivals internationaux). Durant cette traversée du désert, Kim Ki-Duk vit retiré dans la campagne coréenne, seul, dans un cabanon mal chauffé. Hirsute, alcoolique, dépressif, le réalisateur est hanté par un accident survenu sur le tournage de Dream, et se sent trahi et humilié par deux assistants à la réalisation qui se sont servis de lui pour lancer leur carrière. Bref, la machine Kim Ki-Duk est en panne, elle ne tourne plus. Le cinéaste s'interroge sur son art, sur ses aspirations en tant que metteur en scène. Il questionne enfin son parcours atypique et cherche à guérir des passions qui ont consumé sa créativité et l'ont plongé dans la jalousie, le ressentiment, la honte...

C'est ce maelström d'impuissance, de doute, de questionnements et d'égarements qu'enregistre Kim Ki-Duk dans Arirang. Authentique essai autobiographique et cinématographique, la forme et le dispositif du film ne sont pas sans rappeler les Confessions et les Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau (le rapprochement n'est pas si absurde que ça : rappelons que le réalisateur a vécu plusieurs années en France). Le cinéaste construit son essai sur la succession de séquences de dialogue où Kim Ki-Duk s'entretient avec des doubles de lui-même qui viennent l'agresser, l'interroger et le pousser à sonder son intériorité. Par ces entretiens, il s'agit de mieux se connaître, de retrouver une sérénité et une sagesse perdues. Grâce à ce dispositif auto-réflexif, Kim Ki-Duk parvient à redistribuer toutes les cartes de son oeuvre dans un film rafraîchissant qui entend bien remettre en question les motifs, les thèmes et surtout le style qui a façonné jusqu'ici son travail. Arirang devient donc une entreprise de déconstruction/reconstruction de Kim Ki-Duk et de son art. Le film tisse un dialogue constant avec ses précédentes réalisations (en particulier avec son plus gros succès Printemps, été, automne, hiver...et printemps qui donne à Arirang son titre puisqu'il renvoie à un chant coréen que l'on entend dans le film de 2005). Devenu l'objet de son propre film, Kim Ki-Duk se met donc en scène comme pur personnage "kim-ki-dukien" : un homme brisé, qui cherche dans la nature la force de renouer avec soi, loin du bourbier des passions que constituent la société et le monde moderne.

Précisément, l'homme et l'oeuvre ont toujours semblé ne faire qu'un chez Kim Ki-Duk. Pourtant, dans Arirang, le réalisateur s'amuse perpétuellement à mettre en question la façade de l'artiste alcoolique et pleurnichard en pleine nervous breakdown. Il met en doute sa sincérité, il dénonce l'artificialité de sa posture avec une ironie sous-jacente et omniprésente. En déconstruisant son entreprise, en sabordant son film, Kim Ki-Duk met à jour le divorce qui l'habite. Créations d'un cinéaste autodidacte, les films de Kim Ki-Duk puisaient jusque-là leur force dans leur honnêteté, dans leur simplicité. Le réalisateur, qui ne connait rien à la technique cinématographique, s'attachait seulement à délivrer des drames humains poignants et singuliers. C'est un cinéma dont le génie tient dans l'intuition plus que dans la technique, dans l'émotion plus que dans le propos, dans la symbolique plus que dans l'idée. En oscillant entre mensonge et confession, entre sincérité et posture, Kim Ki-Duk dévoile dans Arirang le nerf de sa stérilité créatrice : le cinéaste n'arrive plus à créer quelque chose qui vienne des tripes, qui soit sincère et authentique. Kim Ki-Duk ne sait plus où il en est : son style personnel, intuitif et original est-il devenu une posture, une formule mécanique sur laquelle il se reposerait en auteur complaisant ? C'est ce brouillage, cette confusion que l'artiste met à nu. Kim Ki-Duk ne sait plus ce que "faire un film" veut dire. Il ne sait même plus quoi dire ni comment.

A ce titre, la question fuse dans Arirang : Kim Ki-Duk aurait-il dit tout ce qu'il avait à dire ? Doit-il se réduire au silence en bon Rimbaud cinématographique ? A l'heure où le cinéaste a repris le chemin des studios pour se complaire dans des productions grand-guignolesques dans lesquelles il parodie son oeuvre (le récent Pieta en est le catastrophique symptôme), on serait tenté de répondre par l'affirmative. Reste qu'Arirang est ce que Kim Ki-Duk nous a proposé de mieux depuis longtemps : c'est un projet casse-gueule, un essai nombriliste et kamikaze, tour à tour pathétique et amusant. Dans la confrontation entre le Kim Ki-Duk passé (cet auteur coréen prolifique et tout-puissant qui a surgi de nulle part comme une petite comète de cinéma) et le Kim Ki-Duk présent (ce gamin dépressif et pleurnichard rongé par le doute), le cinéaste met en scène un suicide artistique et existentiel qui aurait dû ouvrir sur autre chose. Parenthèse où l'artiste fait le deuil de sa gloire passée et d'un art qu'il ne peut plus faire comme avant, Arirang aurait dû pousser Kim Ki-Duk à créer autrement, plutôt qu'à tenter vainement, encore et toujours, de courir après ce qu'il ne peut plus faire convenablement.

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