Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Conte de cinéma, Hong Sang-Soo, 2005

Publié par Romaric Berland sur 11 Octobre 2013, 12:30pm

Catégories : #Cinéma asiatique

Réalisé après Turning Gate et La femme est l'avenir de l'homme (les deux films qui ont imposé la petite voix de Hong Sang-Soo sur le plan international), Conte de Cinéma marque un tournant discret mais bien réel dans la carrière du metteur en scène coréen. S'il semble rejouer à l'identique personnages et situations issues de ses précédentes oeuvres, le réalisateur complexifie sensiblement la construction narrative de ses récits (tendance qui ne cesse de se confirmer depuis, encore avec ses récents The Day he arrives et In another country).

Conte de Cinéma se veut un petit jeu de passe-passe entre la fiction et le réel, entre le cinéma et le monde. Le film se voit ainsi structuré en deux parties distinctes, qui n'ont a priori rien à voir l'une avec l'autre, mais elles se trouvent reliées par l'espace qu'est la salle de cinéma, ce no man's land entre le monde du dehors (la réalité) et le monde du dedans (le cinéma). En nous plongeant tout d'abord dans un monde de pure fiction (la projection d'un film mis en abîme au sein de l'histoire), le réalisateur semble réfléchir sur la crédulité du spectateur face aux images qu'on lui propose. Dans Conte de Cinéma, la fiction intra-diégétique (une espèce de pastiche des films de Hong Sang-Soo par lui-même) nous apparaît donc d'abord comme réelle avant que le réalisateur n'en révèle par un raccord assez subtil et réussi sa nature véritable (nous n'avons vu qu'un film dans le film). Ce qui intéresse vraiment Hong Sang-Soo, c'est les structures d'écho, de résonance qui ont lieu entre l'univers de fiction que représente le film projeté en première partie, et le monde "réel" dans la seconde partie, où l'on s'attache à suivre le périple indécis d'un des spectateurs alors qu'il croise l'actrice du film qu'il vient de voir. La vie inspire-t-elle le cinéma ou le cinéma inspire-t-il la vie ? Hong Sang-Soo s'amuse à brouiller les pistes et à se perdre dans cet entre-deux monde... Spectateur indécis et réalisateur sans le sou, Tongsu semble vouloir rejouer le film qu'il vient de voir, poursuivant l'actrice comme un fantasme à saisir et à accomplir. Néanmoins, il semblerait que le film se soit inspiré de sa propre existence (le réalisateur du film projeté étant un ami de Tongsu). En creux, plus qu'une fausse critique des images, Hong Sang-Soo semble surtout revendiquer son esthétique naturaliste : ce qui inspire son cinéma, c'est la vie de tous les jours, c'est les petits riens du quotidien, c'est la volonté d'ausculter les travers, les incohérences, les paradoxes et les petites lâchetés qui font de nous des êtres insaisissables. Voir un film de Hong Sang-Soo, c'est ainsi regarder le réel, les autres et soi-même d'une posture privilégiée, c'est en avoir une connaissance renouvelée. La fiction se nourrit du quotidien et offre au spectateur une autre perspective sur ce réel. Telle semble la réflexion que développe le cinéaste par ces jeux de correspondances ludiques entre le film projeté et la "réalité" intra-diégétique.

Ainsi, Conte de Cinéma est assurément l'un des films les plus complexes et les plus opaques de son réalisateur. Hong Sang-Soo se plaît à composer un puzzle mystérieux, entre réalité et fiction. C'est un conte bien réel, même trivial, dépouillé de fantastique ou de morale. Conte de Cinéma, en mettant à distance l'oeuvre d'Hong Sang-Soo, apparaît comme une confirmation et une réponse du réalisateur à ses détracteurs : oui, son cinéma apparaît presque insignifiant; oui, il s'attache à dépeindre les vies pleines de vacuité de petites gens sans envergure; oui, son oeuvre est anti-spectaculaire, minimaliste, fondée sur la répétition. Mais tout est dans le regard, le regard qu'un cinéaste porte sur le monde réel et les êtres qui le composent, en observateur naturaliste, en balzacien du cinéma, représentant les errements de bobos coréens insatisfaits.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents