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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Jeremiah Johnson, Sydney Pollack, 1972

Publié par Romaric Berland sur 6 Octobre 2013, 10:45am

Catégories : #Cinéma américain

Probablement l'une des plus belles réussites de Sydney Pollack, Jeremiah Johnson est une oeuvre atypique. C'est un western charnière, à la fois classique dans le plus beau sens du terme, et novateur, puisqu'il est le pur produit du cinéma américain des années 70. Avec Jeremiah Johnson, Pollack construit un mythe (son personnage librement inspiré de la vie du trappeur John Johnson) pour en déconstruire un autre (l'Amérique de la conquête de l'Ouest). Le réalisateur est parvenu à inventer une figure au destin légendaire, à tel point qu'il fait aujourd'hui partie du folklore aux côtés de personnalités pourtant réelles comme Billy the Kid, Pat Garrett ou Calamity Jane. Jeremiah Johnson, c'est l'aventurier qui quitte la civilisation pour plonger dans la nature, c'est l'homme blanc qui se retrouve confronté à la solitude et à la précarité de l'existence face à toutes les menaces (les éléments autant que les Indiens). Avec ce beau film, Pollack brasse une flopée de thématiques toutes joliment conduites.

A la fois utopiste et douloureusement lucide, Jeremiah Johnson incarne un certain idéal de vie. Le personnage fuit les hommes et une civilisation jugés décadents et inhumains, pour s'immerger en plein dans une nature qu'il rêve ressourçante et où l'individu vivrait en harmonie. Dans le wilderness, l'homme fait la pleine expérience de sa liberté en même temps que de la fragilité de son existence. Pollack restitue le charme ambivalent de la nature, à la fois source de rêveries bucoliques où l'homme se prend à rêver son bonheur en autarcie, et en même temps berceau de tous les dangers, comme en témoignent ces plans répétés sur les montages enneigées et escarpées. Les Indiens eux-mêmes font l'objet d'un traitement intéressant car plein de nuance : loin d'être ces sauvages primitifs et belliqueux des westerns classiques, les Indiens dans Jeremiah Johnson sont des êtres ouverts au contact, à l'échange, mais qui restent dans une attitude de défense de leur territoire. Sans être un western révisionniste comme le fut Little Big Man sorti un an avant, Pollack n'est jamais manichéen : il restitue bien l'aspect déroutant et précaire de l'expérience de la frontière (the Frontier). La frontière, c'est ce no man's land coincé entre les terres sauvages et la civilisation, c'est un éternel bout de terre en dispute où chacun proclame sa légitimité et son droit. C'est donc un espace à la fois idyllique (puisqu'il est vierge) et dangereux (puisque l'homme doit y lutter pour survivre).

A ce titre, loin de l'utopie naïve et charmante que sera par exemple Danse avec les loups, Jeremiah Jonhson restitue bien la violence primitive, brutale, qui habite le mythe de la frontière. Ponctué de scènes de violence encore aujourd'hui très impressionnantes, le film se pare d'une certaine dimension documentaire, puisqu'il cherche à retranscrire de manière fort réaliste la dureté de cette expérience, la violence du mythe américain. Bref, Jeremiah Johnson est riche de tous ses paradoxes. C'est une oeuvre à la fois documentaire et mythologique, utopique (dans sa peinture de l'homme au sein de la nature) et désillusionnée (car même dans cette nature, l'homme ne peut pas se séparer de sa violence). C'est une aventure dure et poignante, une oeuvre humaniste et authentique. Bercé par la beauté capricieuse des éléments et la composition subtile de Robert Redford, plus beau que jamais, Jeremiah Johnson est une déclaration d'amour à l'aventure, au western, à la nature, et à l'Amérique dans tout ce qu'elle a d'exaltant, le tout porté par le classicisme le plus affûté de Sydney Pollack. Film culte à n'en pas douter.

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