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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Under the silver lake, David Robert Mitchell, 2018

Publié par Romaric Berland sur 22 Août 2018, 16:25pm

Catégories : #Cinéma américain

Avant, la scoptophilie du héros permettait de résoudre des crimes (Fenêtre sur cour), d'élucider des complots (Vertigo, Blow out), d'arrêter des criminels (le film noir, du Grand sommeil au Privé) ou de découvrir, derrière la beauté des apparences, le visage monstrueux et cauchemardesque du monde dans lequel on vit (Blue velvet, Mulholland Drive). Avant, voir le monde, c'était le comprendre, et plus on en voyait, mieux on le comprenait, comme si tout l'enjeu du regard (et du cinéma) était de poser la réalité qui nous entoure comme un grand mystère déchiffrable à condition de la scruter sous toutes les coutures. L'image avait pouvoir de révélateur, et elle attendait qu'un œil se pose simplement sur elle pour enfin déplier le sens dont elle était porteur et éclairer celui qui l'observait. 

Aujourd'hui, dans Under the silver lake, David Robert Mitchell renvoie le geek de cinéma à la vacuité de son propre désir de voir. Abreuvé de pop culture, gavé de films et de bande dessinées, Sam habite le monde comme un spectateur de cinéma, certain qu'en observant son entourage il finira par percer la signification secrète de l'univers plein de confusion dans lequel il est plongé. Analysant symboles, publicités et codes secrets, cherchant des messages subliminaux dans les tubes du moment comme dans les emballages pour céréales, il met tout ce qu'il voit en réseau au service de sa paranoïa, ou plutôt de son fantasme, celui d'un monde qui serait un gigantesque puzzle ludique truffé d'easter eggs à déterrer. Sauf qu'au bout de la fiction qu'il s'est lui-même construite et qu'il prend pour la réalité, il n'y a fondamentalement rien à voir. Sous la surface argentée du lac et des apparences, ni complot, ni assassinat, ni secret ne barbotent; seul son désir fou de voir et de comprendre, et dans lequel il se noie. Tout l'art de David Robert Mitchell est alors de lier personnage et spectateurs dans cette même passion herméneutique. Saturé de références et d'hommages comme autant de fausses pistes, Under the silver lake n'a de cesse de renvoyer à d'autres images et à d'autres films comme pour pousser le spectateur à se perdre à l'instar du héros dans le dédale des allusions, en quête d'un sens caché (d'un message pourrait-on dire) qui se dérobe sans cesse.

Tout le film se construit alors autour de ce vide, celui d'une pop culture ne renvoyant qu'à elle-même et n'ayant rien à communiquer à part sa logique consumériste, et autour de cette angoisse, celle d'un monde qui n'aurait plus ni sens ni réalité. Pour se faire, rien de mieux que de situer le récit sur les terres d'Hollywood et de ses alentours, lieu artificiel par excellence où les films et la réalité s'interpénètrent constamment pour ne faire plus qu'un, et que le cinéaste reconfigure en un gigantesque labyrinthe regorgeant de tunnels souterrains et de châteaux improbables, où tout débouche sur tout comme dans un niveau de Super Mario. Prenant les oripeaux de la culture qu'il dénonce, nul doute qu'Under the silver lake suscitera son lot de lectures et d'interprétations plus ou moins farfelues de la part de spectateurs chevronnés qui rejoueront pour eux-mêmes le geste absurde et fondamentalement inutile du personnage d'Andrew Garfield. C'est dommage, car ils n'auront pas compris qu'il s'agit là d'une entreprise bien vaine, comme essayer de comprendre ce qu'un perroquet veut dire, alors que son cri n'a probablement aucun sens.   

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