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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Juste la fin du monde, Xavier Dolan, 2016

Publié par Romaric Berland sur 30 Novembre 2016, 16:25pm

Catégories : #Cinéma américain, #Cinéma européen

Avec Juste la fin du monde, Xavier Dolan adapte la pièce éponyme de Jean-Luc Lagarce et semble trouver un point d’équilibre salutaire entre le formalisme de sa mise en scène et l’émotion toujours à fleur de peau de ses récits. Mommy, son précédent long-métrage, avait marqué les esprits par son audace formelle et sa grande force émotionnelle. En réalité, si le film était tout à fait appréciable, il marquait également dans le système Dolan un point de rupture. Poussant toutes les potentialités de son style à fond, le petit génie laissait aussi libre cours à tous ses travers : l’inventivité formelle tutoyait l’ostentation prétentieuse, le mélo reposait sur une partition tire-larme plutôt facile, et le jeune québécois faisait tout ce qu’il pouvait pour se faire aimer et remarquer. La stratégie fut payante : Dolan repartit de Cannes avec un Prix du Jury.

Or Juste la fin du monde marque une étape supplémentaire dans la maturation du cinéaste. Moins tonitruant, moins crâneur aussi, le dernier film de Dolan est un mélodrame plein de rigueur où le réalisateur tient fermement les rênes de sa mise en scène. Peut-être que l’origine théâtrale du projet et le texte de Jean-Luc Lagarce n’y sont pas étrangers, car ils semblent en fait jouer comme un garde-fou imposant des contraintes salutaires à ses tentations formelles. Reste que Juste la fin du monde est le premier film pour lequel Xavier Dolan fait montre d’une véritable maîtrise. En pleine possession de ses moyens, il ne se laisse pas emporter ou dépasser par sa mise en scène mais il l’articule toujours avec beaucoup d’application aux enjeux dramatiques et psychologiques de son récit. A travers le choix systématique de ne filmer ses personnages qu’en gros plans, le réalisateur trouve un moyen astucieux d’échapper au théâtre filmé tout en trouvant une grammaire purement cinématographique pour raconter son histoire ; il fait œuvre de cinéma, tout en sachant donner la part belle au jeu des acteurs. Au fond, c’est même la première fois qu’on voit Dolan se rapprocher d’une forme de classicisme, délaissant (à quelque exception près) ses habituelles séquences pop et clipesques pour une réalisation sobre et minimaliste. Le réalisateur sait quand surligner tel ou tel moment ou tel ou tel élément de l’intrigue, rendre signifiant par un plan un échange de regard ou un silence, appuyer sur une réplique ou expliciter le sens d’une scène. De sorte que rien n’est de trop. Le film frappe par sa densité dramatique, son aspect ramassé (1h30 de film, comparé aux 2h15 de Mommy) qui en font une œuvre très efficace.

Pour le dire avec beaucoup de provocation (mais aussi un peu de vrai), Juste la fin du monde se révèle un opus bergmanien. Xavier Dolan réalise sa Sonate d’automne, un mélodrame familial cruel dans lequel le réalisateur ausculte les liens de parenté comme des rapports malades et nécessaires. Le systématisme du gros plan (signature d’Ingmar Bergman s’il en est) dit bien l’aspect étouffant de ces relations totalitaires, et souligne la violence des émotions qui circulent entre les protagonistes et qui déforment leur visage comme autant de séismes souterrains, de catastrophes intimes. Dolan isole les personnages, les enferme dans la vignette du cadre pour dire leur solitude et l’impossible compréhension des uns envers les autres. Il fait des hommes et de leur corps autant de planètes qui gravitent et se repoussent entre elles, incapables de s’aligner, victimes de forces d’attraction/répulsion impossibles à réprimer. Se refusant au champ-contrechamp, il filme les visages moins pour souligner la transmission d’une parole, la possibilité d’une communication ou d’un échange entre les personnages que pour dire l’incommunicabilité qui les sépare et les isole. Comme souvent chez Dolan, la parole est effusive, profuse, les discussions sont hystériques et à bâtons rompus, mais il s’y loge quelque chose de pathologique et de maladif : dans Juste la fin du monde, les personnages parlent mais ne se parlent pas, ils font du bruit pour éviter d’avoir à se dire les choses qui comptent. La parole est souvent monologue, ressassement, gaspillage d’énergie et de mots. Seul le silence est éloquent : la seule à comprendre Louis, c’est Catherine, la belle-sœur jouée par Marion Cotillard. Et ce n’est pas un hasard si, comme Louis, celle-ci ne sait pas parler et se réfugie dans le mutisme. Il faut d’ailleurs souligner la belle qualité de l’ensemble du casting, souvent injustement décrié, et au-dessus duquel plane Gaspard Ulliel, parfait. Si chaque acteur retrouve un certain type de rôle dans lequel il excelle (Nathalie Baye semble même rejouer son personnage de Lawrence Anyways), Xavier Dolan a très bien su utiliser les potentiels de chacun. Très intéressante est l’utilisation de Vincent Cassel, parfaitement à l’aise dans le rôle de la brute antipathique, et dont le réalisateur finit par écorner et malmener l’image avec force. Le film est le récit de sa tragédie autant que de celle de Louis…

L’avenir nous le dira, mais il se peut que Juste la fin du monde soit un film pivot dans la carrière de Xavier Dolan. Beau film mortifère aux couleurs fanées, l’œuvre, à l’image de son personnage principal, est hantée par le deuil d’une jeunesse pleine de grâce, par un paradis définitivement perdu. Et elle se clôt sur l’image d’un petit oiseau expirant, incarnant une innocence désormais révolue. A l’image de Louis qui quitte sa famille pour la dernière fois, peut-être faut-il voir dans ce plan final l’affranchissement du réalisateur avec ses œuvres de jeunesse. Le petit génie a grandi, il s’est assagi et il éprouve la conquête d’une nouvelle liberté : celle désormais de n’être plus si jeune ; et, après avoir reçu un Prix du Jury et un Grand Prix, celle de n’avoir plus rien à prouver à qui que se soit.                                    

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