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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Lost River, Ryan Gosling, 2015

Publié par Romaric Berland sur 3 Mai 2015, 12:31pm

Catégories : #Cinéma américain

Avec Lost River, l'acteur Ryan Gosling effectue son premier passage derrière la caméra, à la casquette de réalisateur. Des conversions artistiques de ce genre, on en a déjà vu pleins, plus ou moins heureuses, plus ou moins fécondes (Charles Laughton, Sean Penn, Vincent Gallo, Mélanie Laurent, Angelina Jolie ou Russell Crowe sont par exemple tous passés par la case "réalisation"). Si on peut souvent reprocher au "film d'acteur" d'être une proposition de cinéma engluée dans le classicisme voire l'académisme le plus plat, peu reprocheront à Ryan Gosling de manquer d'ambition pour sa première tentative. Ni d'un certain talent d'ailleurs. Seulement voilà, le beau Ryan semble avoir eu les yeux plus gros que le ventre. A défaut d'être un film en bonne et due forme, Lost River apparaît comme un gigantesque brouillon, un laboratoire d'idées et de tentatives, les travaux de recherche d'un étudiant en cinéma avant de passer à la réalisation. C'est là le paradoxe : on a l'impression que le premier film de Ryan Gosling est une ébauche de film. On voit les idées, mais on ne voit pas leur réalisation effective. On lit les intentions sur le papier, mais il manque le développement. L'élève Gosling semble avoir rendu sa copie avant même d'avoir pris le temps de se relire...

Du haut d'un pitch assez original, aliant réalisme social et fantastique, l'apprenti metteur en scène accouche donc d'une oeuvre qui se révèle aussi intriguante qu'elle est inachevée. Volontiers audacieux, Ryan Gosling ose, expérimente avec sa caméra autant qu'il se cherche un style et une identité. Mais une somme d'idées -aussi bonnes soient-elles- ne font pas un bon film. Lost River est une addition de scènes juxtaposées qui fonctionnent individuellement mais qui ne marchent pas ensemble. Dans la lignée des films les plus "expérimentaux" de Lynch (Mulholland Drive) et Winding Refn (période Valhalla Rising), on sent chez Gosling le désir de s'affranchir d'une narration ou d'un récit structuré au profit d'une plongée sensorielle dans un univers atypique. Mais le réalisateur n'arrive pas à aller plus loin que la simple évocation "mystérieuse" de son petit monde, il ne parvient pas à insuffler des idées et des symboliques dans son univers onirique. Au fond, au moment d'écrire son film, on sent que Ryan Gosling avait en tête plus des images ponctuelles qu'il désirait tourner qu'une trame scénaristique ou un discours clairement établis. Lost River est un film composite, une somme d'éléments esthétiques ou visuels disparates plus ou moins importants parmi lesquels Gosling n'a pas réussi à faire le tri. En vérité, il est surprenant de constater que le film échoue là où on ne l'attendait pas forcément, c'est-à-dire du côté du scénario, et que sa réussite réside sur le plan formel, ce qui semblait être le plus à craindre. En dépit de certains tics de réalisation attendus (en paticulier un montage cut clipesque qui transforme les scènes en un gloubi-boulga musical), Lost River est visuellement réussi et maitrisé. Gosling a un geste sûr, un regard authentique et, contrairement à ce qui a souvent été dit, il saît s'affranchir ponctuellement de ses modèles cinématographiques pour trouver sa petite voix bien à lui.

Mais si Gosling est un bon technicien, il se révèle un piètre conteur et un mauvais scénariste. L'histoire de Lost River est à l'image des recherches esthétiques du Canadien : composite. On voit les coutures partout, et il manque à toutes ces trames et à tous ces personnages éclatés une alchimie qui les fait fonctionner de concert. Il est surprenant de voir que dès les premières minutes de film, Ryan Gosling échoue à introduire convenablement ses personnages, de telle sorte qu'on puisse y croire, qu'on puisse s'y intéresser un peu. Bones, Bully, Rat, Dave...tous arrivent comme un cheveu sur la soupe et manquent cruellement de profondeur (malgré les bonnes interprétations de l'ensemble du casting). Certes, on voit bien que les personnages fonctionnent comme des archétypes mais ils manquent de chair, d'incarnation (et plus particulièrement Bones, le personnage principal, totalement insipide). De même, l'interpénétration du fantastique et du réalisme social ne fonctionne pas, en particulier parce que la trame concernant la "malédiction" de Lost River n'est pas correctement intégrée au film. Il manque au long-métrage de solides chevilles scénaristiques, et un moteur qui puisse donner une vraie dynamique aux personnages. Tout arrive un peu là sous le seul prétexte que Ryan Gosling a voulu que ça se passe comme ça. Trop arbitraire, il manque au scénario une nécessité intérieure, une logique interne. Les protagonistes bougent comme des coquilles vides, se meuvent comme des automates sans trop savoir pourquoi. En résulte une oeuvre assez insipide, engoncée dans une atmosphère ouatée et monotone de mystère, là où des metteurs en scène comme Winding Refn et Lynch jouent perpétuellement sur la rupture de ton pour créer le malaise, pour électriser le spectateur afin qu'il ne sombre pas dans l'ennui ou le désintérêt...

Ni chronique sociale, ni film fantastique, Lost River est une oeuvre qui finit par manquer de chair et d'identité à force de brasser à droite et à gauche, à force de chercher et d'essayer. Gosling est un élève dissipé, tout se dissout sous le poids de ses ambitions et de sa curiosité créative. Lost River est un film en état de devenir perpétuel, et sa fin est aussi inattendue qu'elle ne clôt rien, puisque rien n'a vraiment commencé. Ni bon, ni foncièrement mauvais, juste inachevé, le film a l'avantage de ne pas condamner la carrière de Ryan Gosling en tant que réalisateur. Tout semble encore possible.

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