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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


Gravity, Alfonso Cuaron, 2013

Publié par Romaric Berland sur 1 Décembre 2013, 19:52pm

Catégories : #Cinéma américain, #Cinéma sud-américain, #Cinéma européen

Voilà donc le film qui a fait épuiser à toute la petite planète de la critique son stock d'adjectifs épithètes et de superlatifs. Avant même sa sortie sur les écrans, on pouvait déjà dire de Gravity qu'il était une réussite indéniable en matière de promotion : véritable succès annoncé et programmé, le film alimentait la machine à buzz qui allait bon train en prophétisant au spectateur une révolution cinématographique sans précédent, un bon en avant, le genre de film "qui fait date" et qui polarise l'Histoire entre un avant et un après. Certes ce n'est pas la première fois qu'on nous fait le coup, et une fois sorti de la projection, on se surprend toujours à se dire que finalement, tout ce ramdam ne cachait qu'un film, juste un film. Car oui, Gravity n'est pas la révolution annoncée, pas plus qu'il n'est ce nouveau jalon historique du cinéma et de la science-fiction. Derrière la réussite technique indéniable se cache un film à la construction et au fonctionnement des plus classique. Loin de réinventer la narration ou même le rapport entre l'image et le spectateur au cinéma, le long-métrage repose sur des mécaniques très éprouvées. Mécaniques que le cinéaste Alfonso Cuaron emploie tout de même d'un geste sûr et maîtrisé.

Car oui, loin d'ouvrir au cinéma 2.0, Gravity correspond plutôt au degré zéro du cinéma -rien de péjoratif ou de méprisant dans cette affirmation. En effet, le film d'Alfonso Cuaron repose sur une conception naïve et "magique" de l'outil cinématographique comme créateur de spectacle. Le cinéma doit produire une fiction dans laquelle le spectateur peut s'immerger et dans laquelle il doit croire jusqu'à la vivre comme s'il y était. Dès L'arrivée d'un train en gare de la Ciotta des Lumières, qui suscita la panique d'un public qui croyait dur comme fer qu'un train leur fonçait droit dessus, le cinéma a reposé sur cette volonté de faire croire et de faire éprouver comme réelle une expérience pourtant fictive, filmée, mise en scène. Ce désir d'immersion, voire d’absorption du spectateur est au coeur de la mise en scène de Gravity, qui use de toutes les ressources techniques du cinéma pour faire vivre son histoire. Sur ce plan-là, il faut reconnaître que le film nous sidère et qu'il rend caduque toutes les expériences cinématographiques de l'espace qu'on a pu voir par le passé (type Apollo 13...). Usant d'une manière inédite du plan-séquence, Cuaron s'affranchit des lois de la pesanteur pour adapter sa mise en scène à l'Espace (qui est, paradoxalement, un non-espace, ou un espace vide). De fait, privé de toute contrainte spatiale, Cuaron dynamite les conventions du montage pour étirer sa mise en scène en de longues prises où la caméra virevolte avec les acteurs et les objets. En suspension totale, la caméra va et vient partout, elle passe du vide extérieur à l'intérieur d'un casque d'astronaute, elle franchit toutes les cloisons et toutes les frontières. Rarement mise en scène n'a autant fait corps avec la spécificité même du cinéma qu'est le mouvement : avec une attention extrême portée aux objets et aux forces, la mise en scène de Curaon est faite de vitesses et d'accélération, elle est extrêmement dynamique et intuitive jusqu'à nous conférer le vertige. La 3D y joue pour une fois un rôle central puisqu'en augmentant la profondeur de champ elle décuple notre sensibilité aux mouvements des corps et de la caméra, elle engloutit notre oeil dans l'image. Bref, dans cet espace vide, la caméra s'ébat, toute puissante, elle va partout et filme tout, on pourrait presque dire qu'elle n'a pas de hors-champ. Gravity consacre la toute-puissance de la technique pour ce qui est un authentique divertissement populaire.

Et c'est donc en pur spectacle que le film joue de ressorts narratifs et émotionnels tout à fait classiques. Soyons pédant : tout le récit de Gravity repose sur la mécanique aristotélicienne de la catharsis et sur l'expérience esthétique du sublime (qui désigne la sidération qui nous saisit lorsque l'on contemple une catastrophe). Justement, le film de Cuaron est un authentique film-catastrophe, et le frisson (le thrill) qu'il nous confère est bien celui d'être dépassé, comme les personnages, par des évènements cataclysmiques qui nous submergent avec eux. Cuaron sait jouer du spectaculaire hollywoodien : on est littéralement saisi par le spectacle des corps dérivant dans le vide, virevoltant parmi les débris d'une station atomisée, réduite en poussière dans une déflagration d'impacts d'une violence inouïe, tandis qu'une musique stridente nous vrille les oreilles (venant remplir jusqu'à saturation le silence spatial -c'est d'ailleurs un peu dommage). La fragilité de l'humain face à la puissance dévastatrice de la nature, voilà sur quoi joue perpétuellement Cuaron dans ce qui est un authentique survival. La simplicité du scénario cherche à construire chez le spectateur une identification immédiate avec des personnages qui luttent pour leur propre survie. Les protagonistes se battent contre la Mort, contre le vide, pour revenir à la vie, pour renouer avec ce giron protecteur et nourricier qu'est la Terre. Comme son titre l'indique, Gravity n'est pas ouvert sur l'immensité de l'espace qui est redouté par les personnages et dans lequel ils ne voient rien que la promesse de leur propre anéantissement. Au contraire le film est tout orienté vers la Terre et la force viscérale qui nous lie fermement à elle, la gravité. Le motif du lien est de fait omniprésent : la vie de Ryan Stone (Sandra Bullock) ne tient souvent qu'à un fil ou un câble qui prend dès lors des allures de cordon ombilical la reliant à une existence à laquelle elle s'accroche fébrilement. Le scénario de Gravity n'est certes pas le point fort du film (on y trouvera quelques scènes un peu trop mélo ou des situations un peu poussives tout en sachant rester sur la corde du vraisemblable), mais Cuaron a eu l'intelligence de rester simple. Il ne se laisse pas aller aux élucubrations métaphysiques farfelues que les réalisateurs de SF se sentent obligés de nous servir depuis quelques temps (n'est pas Philip K. Dick ou Andreï Tarkovski qui veut). L'exorcisme cathartique auquel Cuaron soumet le personnage de Sandra Bullock et le spectateur est suffisamment simple et honnête pour qu'à la fin on ne se sente pas (ne serait-ce qu'un tout petit peu) touché.

Ainsi, à travers la confrontation à la mort et au désespoir, à travers l'expérience de la fragilité de notre existence, Cuaron nous électrise grâce aux ressorts de l'angoisse. Le réalisateur mexicain nous fait vivre cette salutaire renaissance. Gravity est un voyage, un cheminement initiatique de l'Espace (territoire mythique où règne la Mort) à la Terre (territoire matriciel et berceau d'un nouveau départ). En nous ramenant les pieds sur terre, Cuaron dessine un itinéraire spectatoriel qui va de la fiction pure pour nous faire retrouver, in fine, le réel, celui de la salle de cinéma dont les lumières finissent toujours par se rallumer. Gravity, c'est une expérience du cinéma qui est révolutionnaire, mais pas dans le sens d'un bond en avant : en astronomie, la révolution désigne le mouvement complet d'un astre qui revient à son point de départ. Le film de Cuaron retrouve ainsi la jeunesse naïve d'un cinéma qui se rêvait art populaire, attraction de foire, grand spectacle. Gravity mérite bien cette dénomination et il mérite qu'on le regarde pour ce qu'il est : ni plus ni moins qu'un bon film.

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