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For now we see through a glass, darkly...

Un blog consacré aux cinémas de tous âges et de tous horizons


The Witch, Robert Eggers, 2016

Publié par Romaric Berland sur 29 Juin 2016, 18:05pm

Catégories : #Cinéma américain

The Witch, Robert Eggers, 2016

Avec son premier film intitulé The Witch, le réalisateur Robert Eggers revient aux origines du roman gothique et renoue avec les racines de la culture puritaine américaine. C'est là la première originalité de ce film documenté, soucieux d'authenticité et de véracité dans sa représentation historique et culturelle de la Nouvelle-Angleterre au XVIIème siècle. Situé 60 ans avant le procès de Salem et inspiré par la première chasse aux sorcières de l'histoire, The Witch semble se poser en premier lieu comme une nouvelle illustration des dérives du fanatisme religieux et des superstitions, dans la lignée de Wieland de Charles Brockden Brown. Sous-titré "Un conte de la Nouvelle-Angleterre", le film ne se démarque pas pour autant du fantastique et du folklore comme on aurait pu l'attendre : si le réalisateur questionne la lucidité de ses protagonistes et le dangereux rigorisme de leur dogme, il n'invalide pas non plus l'intrusion et la présence tangible du surnaturel et de l'horreur. Plus retors que prévu, The Witch voit donc Robert Eggers tenir les deux fils à la fois, entre démystification de la religion et respect des codes du cinéma d'horreur. Le résultat n'en est que plus inattendu.

Une famille, ostracisée de la ville pour une raison inconnue, part s'installer au beau milieu de la nature pour évangéliser le wilderness et fonder une communauté. Mais une suite d'évènements dramatiques et la présence avérée d'une sorcière dans les bois plongent le petit groupe dans la paranoïa en mettant à jour les fautes et les conflits refoulés par la famille...Avec The Witch, Robert Eggers offre une lecture en négatif de la "manifest destiny" des Pères pèlerins. Dans la mythologie et la culture américaine, la Conquête de l'Ouest est un processus civilisateur, une colonisation de la nature, berceau du Mal et de la sauvagerie (d'où son appellation de wilderness) qu'il s'agit de dominer pour y apporter les lumières de la raison et de la religion. La conquête est donc un processus de purification et de clarification de l'espace qui aboutit à l'instauration de l'ordre sur le chaos. Mais le processus qu'enregistre Robert Eggers est rigoureusement inverse : immergée et isolée dans le wilderness, la famille puritaine se révèle impuissante à dominer son espace, à circonscrire un bout de civilisation qui soit protecteur et rassurant (autrement dit un foyer). A la délimitation symbolique imposée par la ville dont on n'aperçoit que les remparts et la porte massive en début de film, la ferme de la petite famille oppose un espace sans démarcation, ouvert sur l'extérieur et en particulier sur la forêt, espace indéchiffrable et opaque, donc angoissant. Ainsi, face à la porosité de ces frontières, The Witch raconte moins la colonisation d'un espace expurgé du Mal que la contagion d'une famille gagnée par le Mal. Robert Eggers renverse ainsi les perspectives. Face à un espace qui refuse de se soumettre, qui impose son mystère et son irrationalité angoissante, la cellule familiale se fissure, ses hypocrisies sont mises à nue. Les esprits se dérèglent, en proie au dogmatisme religieux imposé par le père et la mère et tous plongent en plein délire mystique en retournant la violence contre eux-mêmes. Le brouillage des frontières spatiales impose donc la confusion des identités et des frontières morales. La violence purificatrice de la Conquête qui s'impose normalement sur l'espace, se redéploie ici sur la sphère familiale qui cherche son bouc-émissaire. Le dogmatisme religieux, pensé comme un rempart à la sauvagerie, précipite ainsi la famille dans l'horreur.

Mais en donnant au surnaturel et aux sorcières une présence qui va croissante, Robert Eggers ne limite pas son film à une simple dénonciation des égarements de la religion comme dans le roman gothique, puisque les angoisses des protagonistes finissent par se porter sur des évènements qui se révèlent comme étant véridiques et non plus fantasmés. L'intérêt du film semble se déporter ailleurs, vers les territoires du conte, son folklore moyenâgeux et ses ambitions d'apologue moral. La famille ne se trouve donc pas seulement aux prises avec ses fantasmes et ses superstitions, mais elle est également confrontée à une menace bien réelle, à un Mal insidieux mais omniprésent qui impose son pouvoir de terreur et de séduction sur la famille (et en particulier les enfants), selon cette même logique de contagion qu'est l'ensorcellement. Au fond, à travers la représentation de cette communauté religieuse et familiale en pleine implosion, Robert Eggers montre moins les dangers de la religion que l'attrait fondamental de l'homme pour le Mal, un Mal que le dogme puritain cherche précisément à réprimer, à endiguer comme un barrage en rappelant constamment à l'homme sa nature mauvaise, sa propension au péché. Mais ce dogme, aussi rigoureux et intolérant soit-il, ne parvient pas à réprimer le mauvais fond de l'âme humaine. La religion se pose comme l'instrument de formation d'une communauté, mais Robert Eggers observe comment cette communauté se brise sous le poids impérieux du wilderness qui exacerbe les individualités au détriment du groupe, qui réveille les désirs coupables au prix du bien commun. Dans The Witch, ce n'est pas la civilisation qui avale et englobe le wilderness; c'est au contraire la cellule familiale qui se fait dévorer par le retour de la sauvagerie dans le groupe. L'espace retrouve une homogénéité, dans le chaos et non dans l'harmonie. Tel semble le retournement radical opéré par la fin et son coup de théâtre : The Witch se clôt sur une ascension, celle d'un personnage qui se libère des dogmes, qui s'émancipe de la civilisation et son ordre oppressant pour laisser libre cours à sa nature et à ses désirs, aussi monstrueux soient-ils...

En retournant aux sources littéraires et culturelles du cinéma d'horreur, Robert Eggers produit un bel hommage aux romans gothiques et aux contes folkloriques, à travers lesquels il trouve une voie médiane, dialectique, et subtile. Plus surprenant que prévu par la part importante qu'il finit par donner à l'horreur et au surnaturel, le cinéaste impose une écriture solide et un geste sûr de mise en scène. A travers sa maîtrise de l'espace, il parvient à synthétiser et à repenser tout un héritage historique et culturel qu'il remet sur le métier avec fraîcheur et efficacité. On tient là une belle réussite.

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